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Au Pérou, une ville "mangée" par la mine


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Cerro de Pasco, une ville de 80 000 habitants, est menacée par l'expansion d'une gigantesque mine à ciel ouvert. Une députée se bat pour obtenir le déplacement de la ville


La ville de Cerro de Pasco (repère "A" sur la carte) est mangée par la mine

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A Cerro de Pasco, nichée à 4 380 mètres d'altitude dans la cordillère des Andes, les tremblements de terre ont lieu, tous les jours ou presque, à 11 heures et 15 heures précises.

Deux fois par jour, la compagnie Volcan fait exploser des charges dans la gigantesque mine à ciel ouvert qui s'étend en plein cœur de la ville, où elle exploite depuis dix ans du zinc, du plomb, de l'argent et du cuivre. « Ça fait beaucoup de bruit et toutes les maisons tremblent, précise un enfant, mais on est habitués. » Son père, lui, s'inquiète en montrant les murs lézardés.

 

La ville est venue à la mine

« S'il y avait un tremblement de terre, je ne pourrais pas faire la différence », soupire Betty Ventura, présidente du quartier de Yanacancha. Comme des milliers d'habitants, elle vit au bord du tajo abierto, la mine à ciel ouvert. « C'est toute l'histoire de Pasco, résume le journaliste Jorge Mesa. Ici, ce n'est pas la mine qui est venue à la ville, mais la ville qui est venue à la mine. »

Au Pérou, Cerro de Pasco est l'une des rares villes n'ayant pas de date officielle de fondation. Au début de la conquête espagnole, la découverte d'un filon d'argent a provoqué l'arrivée de centaines d'aventuriers qui se sont installés là où ils creusaient leurs tunnels et leurs mines artisanales.

Quatre siècles plus tard, les filons sont toujours exploités, cette fois par la compagnie locale Volcan, mais la situation de la population s'est aggravée.

 

Un trou, d'abord petit, devenu gigantesque

« À la fin des années 1960, il est devenu plus rentable d'exploiter le gisement à ciel ouvert », rappelle la députée Gloria Ramos, originaire de Pasco. Le trou, d'abord petit, est devenu grand. Puis gigantesque…

« La mine à ciel ouvert a commencé en plein milieu de la ville et l'a dévorée… La maison où je suis née a disparu », regrette cette femme qui reconnaît que la situation est « traumatisante… et frustrante ».

« Je suis né dans le quartier La Cureña, raconte son mari, Jorge Mesa. Quand j'ai eu 10 ans, j'ai vu disparaître le quartier San Jacinto, puis le quartier Cleopatra, puis le San Expedito. La mine a modifié le paysage… »

 

La mine a faim

Cerro de Pasco, ouverte aujourd'hui comme une plaie béante, est devenue la ville des copies. Copiée, la tour reconstruite de l'hôpital Carrion, l'originale ayant été dévorée par la mine en 1980. Copiée encore, la colonne qui honore la mémoire des 200 pasqueños partis combattre le Chili à la fin du XIXe siècle. Reproduction toujours, ce que l'on appelle ici le château de la Vierge de Lourdes, l'ascenseur qui menait à la mine souterraine.

Mais la mine a encore faim. « Il ne faut pas se faire d'illusions, prévient Denis Sulmont, professeur universitaire à Lima. La zone est trop riche, personne ne pourra arrêter ça. » Personne d'ailleurs n'y songe, comme s'il était finalement normal que Pasco, née de la mine, finisse par en mourir…

Aujourd'hui, la compagnie Volcan souhaite détruire 11,4 hectares de ce qui reste du centre historique de Pasco. Sur la place d'Armes, en face de l'église de la paroisse Saint-Michel, les bâtiments condamnés sont faciles à repérer.

Après les avoir achetés – à des tarifs qui, selon la population, ne permettent pas de reconstruire ailleurs –, la compagnie Volcan peint les portes et les fenêtres en rouge et détruit les toits pour supprimer toute velléité de retour.

 

"On va tous devoir partir"

Comme beaucoup, le P. Jaime Chua est fataliste. « Pour être tranquilles, on va tous devoir partir, et puis on ne peut pas vivre au milieu de tant de pollution. »

Repoussée par l'avancée de la mine, la population avait jusqu'à présent trouvé refuge sur les hauteurs, dans des conditions précaires. « On a au maximum deux heures d'eau par jour. On ne peut pas vivre dignement dans ces conditions », s'insurge Gloria Ramos.

Présidente de la commission de protection de l'environnement au Congrès péruvien, elle a obtenu il y a quelques semaines le vote unanime de tous ses collègues pour que la ville soit déplacée.

Mais la loi 1244 ne fait pas que des heureux, à commencer par le maire, Tito Valle. « Il y a déjà eu une loi pour déplacer Pasco. Ils avaient même commencé à construire quelques centaines de maisons à Villa de Pasco, sur la route centrale. Et puis tout a été arrêté. »

Craignant que le projet ne soit pas poursuivi par les prochains gouvernements, le maire a peur de perdre sur les deux tableaux et propose un plan moins ambitieux de création de nouveaux quartiers tout proches des zones condamnées.

Eric SAMSON, à Cerro de Pasco





18/06/2008
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