Juancitucha

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Crise financière suite

Voici une suite d´articles sur la crise économique...

 

Chavez prend au mot Sarko

 

Le président vénézuélien Hugo Chavez a estimé hier que son homologue français Nicolas Sarkozy était en train de "se rapprocher du socialisme" et l'a invité à discuter de l'élaboration d'un "nouveau système" pour faire face à la crise financière.

 

S'adressant directement à Nicolas Sarkozy en l'appelant "camarade", le président vénézuélien a déclaré au cours d'une allocution transmise par la radio-télévision nationale: "Sarkozy, tu es en train de te rapprocher du socialisme, bienvenu au club, ce sont des idées intéressantes".

 

Il se référait aux positions défendues par le président français pour surmonter la crise actuelle. "Sarkozy est un bon ami, mais lui, il est capitaliste", et cependant "ses déclarations le rapprochent davantage de notre côté", a poursuivi Hugo Chavez.

 

Pour le président vénézuélien qui veut promouvoir un "socialisme du XXIe siècle", il est "impossible de refonder" le capitalisme. Il faut créer "un système nouveau, avec des différences ici et là, mais il faut que ce soit quelque chose de nouveau. Nous l'appelons sans doute socialisme, (...) tu l'appelleras nationalisme, eh bien, discutons-en", a lancé M. Chavez à l'adresse de son homologue français.

 

Nicolas Sarkozy "a déclaré que si on ne refondait pas le système capitaliste, il y aurait une révolution à l'échelle planétaire. Eh bien, Sarkozy, ici en Amérique latine une révolution s'est déjà produite il y a un certain temps", a encore déclaré Hugo Chavez qui avait rencontré son homologue français au cours d'une visite officielle à Paris fin septembre. (AFP).

 

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Une opportunité historique pour le changement

mardi 28 octobre 2008 par Forum des Peuples Asie-Europe

Préambule

Profitant qu'un certain nombre de représentants de mouvements sociaux des 4 continents sont rassemblés à Pékin pour le Forum des Peuples Asie-Europe, le Transnational Institute et Focus on the Global South ont organisé des réunions informelles entre le 13 et le 15 octobre 2008. Nous avons fait le point sur la signification de la crise économique mondiale et sur l'opportunité qu'elle représente pour nous de porter à la connaissance du public des alternatives prometteuses et réalisables sur lesquelles beaucoup d'entre nous avons travaillé depuis des décennies.

Ce texte représente le produit collectif de nos nuits Pékinoises. Nous, premiers signataires, le proposons comme une contribution aux efforts entrepris pour formuler des propositions autour desquelles nos mouvements peuvent s'organiser pour promouvoir un ordre politique et économique radicalement nouveau.

Pour éviter l'apparition multiple de mêmes signatures, merci d'ajouter votre nom et/ou celui de votre organisation dans la section "Commentaires" de la version anglaise du texte.

La crise

Le système financier mondial se délite à très grande vitesse. Ce mouvement intervient en parallèle d'une multiplicité de crises : alimentaires, climatiques et énergétiques. Il affaiblit sévèrement le pouvoir des USA et de l'UE, mais aussi celui des institutions multilatérales qu'elles contrôlent, particulièrement le FMI, la Banque mondiale et l'OMC.

Ce n'est plus seulement la légitimité du paradigme néo-libéral qui est en question mais bien le futur immédiat du capitalisme.

Le chaos est tel au coeur du système financier mondial que les gouvernements du Nord recourent à des mesures que les mouvements progressistes défendent depuis des années, comme la nationalisation des banques.

Ces solutions sont entendues toutefois comme des mesures de stabilisation à court terme ; une fois la tempête apaisée, les banques retourneraient bien sûr au secteur privé. Nous avons une fenêtre d'opportunité immédiate pour faire en sorte qu'elles ne le soient pas.

Le défi et l'opportunité

Ces crises profondes nous ouvrent un terrain inexploré et la chute s'annonce sévère. Les populations s'enfoncent dans un sentiment profond d'insécurité et de pauvreté et beaucoup des personnes les plus vulnérables vont voir leur détresse s'aggraver.

Nous devons résister, dans cette période critique, au fascisme, aux populismes droitiers, aux sirènes xénophobes qui chercheront probablement à tirer avantage des peurs et de la colère des peuples.

De puissants mouvements d'opposition au néolibéralisme ont émergé ces dernières décennies. Cela va s'amplifier au fur et à mesure que les analyses critiques de cette crise sont portées à la connaissance des peuples ; déjà ceux ci expriment leur colère face à l'utilisation de fonds publics pour régler des factures dont ils ne sont pas responsables, alors qu'ils doivent déjà faire face à la crise écologique et à une inflation insupportable, particulièrement des produits alimentaires et énergétiques. Les protestations iront croissantes à mesure que la récession frappera concrètement les populations et que les économies entreront en dépression.

C'est pour nous une nouvelle opportunité de faire émerger les alternatives que nous défendons. Mais pour qu'elles retiennent l'attention du public, elles doivent être concrètes et immédiatement réalisables. Des alternatives existent qui sont déjà mises en pratique et nous avons également beaucoup d'autres bonnes idées qui ont déjà été expérimentées dans le passé mais qui ont échoué. Ce sont le bien être des populations et la planète qui sont au coeur de nos alternatives. Mais pour y parvenir, le contrôle démocratique sur les institutions économiques et financières est indispensable. C'est là le fil rouge développé à travers les propositions présentées ci dessous :

Propositions pour le débat, l'élaboration et l'action

Finance

* Introduire la socialisation complète des banques, et pas seulement la nationalisation de leurs mauvais résultats

* Créer des institutions bancaires fondées sur les besoins et les demandes des populations, renforcer les formes populaires de crédit basées sur le mutualisme et la solidarité

* Instituer la complète transparence du système financier via l'ouverture des documents comptables au public, avec l'appui des mouvements citoyens et des syndicats

* Introduire la surveillance du système bancaire par les populations et les Parlements

* Appliquer des conditionnalités sociales (notamment sur les conditions de travail) et environnementales à tous les prêts notamment ceux à vocation purement lucrative

* Prioriser le prêt à des taux d'intérêt minimum pour satisfaire les besoins sociaux et environnementaux et élargir la sphère de l'économie sociale

* Restructurer les banques centrales autour d'objectifs sociaux et environnementaux qui soient démocratiquement définis, et les rendre publiquement redevables de leurs résultats et de leurs impacts

* Préserver les transferts d'épargne des migrants à leurs familles et introduire une législation restreignant les charges et les taxes sur ces transferts

Fiscalité

* Fermer tous les paradis fiscaux

* Supprimer toutes les exonérations fiscales aux entreprises du secteur des énergies fossiles et nucléaires

* Appliquer un système fiscal réellement progressif

* Développer un système fiscal mondial pour empêcher les comptabilités de transfert et l'évasion fiscale

* Introduire une taxe sur les profits des banques nationalisées, qui permettra de développer des fonds d'investissement citoyens

* Imposer rigoureusement une fiscalité progressive sur le carbone sur les acteurs qui présentent les empreintes écologiques les plus importantes

* Adopter des instruments de contrôle, comme la taxe Tobin, sur les mouvements de capitaux spéculatifs

* Réintroduire des droits de douane sur l'importation de produits de Etats mais aussi à supporter la production locale et contribuer à la réduction des luxe et sur les autres biens déjà produits localement, de façon à rénover la base fiscale des émissions de carbone à l'échelle globale.

Dépenses publiques et investissement

* Réduire radicalement les dépenses militaires

* Rediriger les dépenses publiques nationales prévues pour le renflouement des banques vers des revenus minimum garantis et une sécurité sociale, et fournir des services sociaux universels tels que le logement, l'eau, l'électricité, la santé, l'éducation, la petite enfance et l'accès à Internet

* Utiliser les fonds d'investissement citoyens pour soutenir les plus pauvres

* Assurer le rééchelonnement négocié de leurs échéances aux ménages risquant de perdre leur logement en raison du manquement au paiement de leur prêt immobilier

* Stopper la privatisation des services publics

* Etablir des entreprises publiques sous le contrôle des Parlements, des communautés locales et/ou des travailleurs afin de développer l'emploi

* Améliorer la performance des entreprises publiques à travers une gestion plus démocratique – encourager une gestion collaborative entre les responsables de ces entreprises, leurs personnels, leurs usagers et les syndicats

* Introduire une planification budgétaire participative pour toutes les dépenses publiques quelque soit le niveau

* Investir massivement dans l'efficacité énergétique, dans des transports publics peu émetteurs de carbone, dans les énergies renouvelables et la rénovation des grands équilibres environnementaux

* Contrôler et/ou subventionner le prix des denrées de base

Commerce international et finance

* Instaurer l'interdiction permanente et globale des ventes à découvert de titres et actions

* Interdire les marchés dérivés

* Interdire toute spéculation sur les produits alimentaires de base

* Annuler la dette de tous les pays en développement – la dette augmente alors que la crise cause la chute des monnaies des pays du Sud

* Soutenir l'appel des Nations Unies à participer aux discussions relatives à la résolution de la crise, qui aura un impact beaucoup plus grand sur les économies du Sud

* Supprimer progressivement la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce

* Supprimer progressivement la suprématie du dollar comme monnaie de réserve au plan international

* Etablir une commission populaire de recherche sur les mécanismes structurants d'un système monétaire international juste

* Garantir que l'aide internationale ne chutera pas en raison de la crise financière

* Abolir l'aide liée

* Abolir les conditionnalités néolibérales de l'aide

* Remplacer le paradigme d'un développement fondé sur les échanges internationaux, et recentrer le développement durable sur les productions à destination des marchés locaux et régionaux

* Développer des incitations pour les productions locales

* Suspendre toutes les négociations d'accords bilatéraux de libre-échange et des APE entre l'UE et les pays ACP

* Promouvoir la coopération économique régionale, telle que l'UNASUR, l'Alternative bolivarienne pour les Amériques, le Traité des Peuples… qui encouragent un authentique développement et la suppression de la pauvreté

Environnement

* Introduire un système global de compensation pour les pays qui n'exploitent pas leurs réserves d'énergie fossile afin de limiter les conséquences sur le climat, comme l'a proposé l'Equateur

* Payer des réparations aux pays du Sud pour les désastres écologiques causés par le Nord, afin d'aider les populations du Sud à gérer le changement climatique et les crises écologiques

* Mettre en oeuvre de façon stricte le principe de précaution de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement comme une condition basique de tout projet de développement ou de nature environnementale

* Supprimer les prêts pour les projets "Mécanisme de développement propre" du Protocole de Kyoto qui comportent des impacts environnementaux négatifs, tels que la monoculture d'eucalyptus, de soja ou d'huile de palme

* Cesser le développement des marchés de carbone et de tous les techniques contreproductives sur le plan environnemental, telles que la capture de carbone, les agro-carburants, le nucléaire ou la technologie "charbon propre"

* Développer des stratégies de réduction radicale de la consommation dans les pays riches tout en promouvant le développement durable dans les pays les plus pauvres

* Introduire un management démocratique de tous les mécanismes de financement internationaux de réduction du changement climatique, avec une participation forte des pays du Sud et des sociétés civiles

Agriculture et industrie

* En finir avec le paradigme pernicieux du développement "tiré par l'industrie", dans lequel le monde rural est pressuré pour fournir les ressources nécessaires au soutien de l'urbanisation et de l'industrialisation

* Promouvoir des stratégies agricoles visant la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire et la durabilité

* Promouvoir les réformes agraires et toutes les autres mesures de soutien aux agricultures familiales et aux communautés paysannes et indigènes

* Stopper la diffusion des monocultures destructrices sur le plan social et environnemental

* Stopper les réformes du droit du travail qui visent à augmenter le temps de travail et la précarisation des travailleurs

* Sécuriser les emplois en déclarant illégal le travail précaire et sous payé

* Garantir aux femmes des rémunérations égales pour un travail équivalent, à la fois en tant que principe de base mais aussi pour augmenter la capacité de consommation des travailleurs

* Protéger les droits des travailleurs migrants face aux suppressions d'emplois, garantir leur réintégration dans les communautés d'origine. Pour ceux qui ne peuvent pas retourner dans leurs pays de départ, le retour ne doit pas être contraint, leur sécurité doit être garantie et ils doivent bénéficier d'un emploi et des minima sociaux.

Conclusion

Ce sont des propositions pratiques et de sens commun. Certaines correspondent à des initiatives déjà expérimentées ; leur réussite doit être publicisée et popularisée afin d'inciter à leur diffusion. D'autres seront peu probablement mises en oeuvre sur la seule base de leur valeur objective. Ils exigent une volonté politique. C'est pourquoi chacune de ces propositions est un appel à l'action. Ce document est vivant, il a matière à être développé et enrichi par nous tous.

Pour éviter l'apparition multiple de mêmes signatures, merci d'ajouter votre nom et/ou celui de votre organisation dans la section "Commentaires" de la version anglaise du texte http://casinocrash.org/ ?p=235.

Le Forum Social Mondial 2009, à Belém à la fin janvier 2009, nous offre une prochaine opportunité pour nous retrouver et travailler ensemble aux actions nécessaires pour concrétiser ces idées (et d'autres). Nous avons les expériences et les idées – saisissons le challenge que représente cette crise pour enclencher une dynamique alternative !!

Traduction : Amélie Canonne

 

 

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Une trajectoire financière insoutenable

Alors même que le pouvoir d'achat des Américains stagne, que leur taux d'épargne est quasiment nul (0,4%) et que la valeur de leurs biens immobiliers et de leurs titres en Bourse a sensiblement baissé depuis le début de l'année, l'endettement des ménages atteint un niveau record. Autant dire que la consommation à crédit ne pourra plus venir au secours d'une économie en panne. Or c'est grâce au crédit facile que l'économie des Etats-Unis était sortie des récessions précédentes...

Par Gérard Duménil et Dominique Levy

Publié, le 14 juin dernier, à l'issue de la réunion des ministres des finances du G8, le communiqué frappe par son caractère lénifiant : « L'innovation financière a contribué de manière significative à la croissance et au développement mondial, mais, au vu des risques que court la stabilité financière, il est impératif que s'accroissent la transparence et la conscience des risques. » Les mots-clés sont pesés : « développement », « innovation financière » d'un côté, « transparence » de l'autre. D'autres termes sont absents : « instabilité », « réglementation »... Et rien n'est dit des facteurs sous-jacents à la crise : les déséquilibres croissants de l'économie des Etats-Unis.

Or, au cœur des mécanismes qui ont abouti à la crise actuelle, on trouve, au-delà de l'absence d'une réglementation de la finance, ce qu'on peut désigner comme la « trajectoire néolibérale » de l'économie des Etats-Unis. Un itinéraire emprunté au début des années 1980 après trois décennies de keynésianisme. Cinq grandes tendances sont en jeu. En premier lieu, le ralentissement de l'investissement productif. Lequel désigne tous les éléments « physiques » requis par la production : bâtiments, bureaux, machines... Cette diminution s'est accompagnée d'une très forte augmentation relative de la consommation. Rien de semblable n'avait pu s'observer dans le passé. C'est cette surcroissance qui est à l'origine de celle du déficit du commerce extérieur. Enfin, faisant écho à ces tendances, il faut mentionner la double envolée de la dette interne (essentiellement celle des ménages et de la finance) et du financement du déficit extérieur par le reste du monde (1). Une bien étrange trajectoire, tirée par la consommation au détriment de l'investissement productif et se nourrissant des importations ; une demande elle-même soutenue par les crédits qu'ont consentis les institutions financières américaines, sachant que rien n'aurait été possible sans le financement par le reste du monde ! On aurait pu s'en inquiéter ; mais, à l'inverse, la propagande néolibérale répandait l'image flatteuse des Etats-Unis « locomotive » de la croissance mondiale.

Injection permanente de crédit

La montée des déséquilibres et la crise financière ne sont pas nées en France, ni même au Royaume-Uni, mais bien aux Etats-Unis, et rien n'aurait été possible sans la domination que ce pays exerce sur le reste du monde. Toutefois, le néolibéralisme se trouve également mis en accusation. Car les profits, dont une large part était précédemment conservée par les entreprises en vue de l'investissement, sont désormais payés aux créanciers sous forme d'intérêts, et aux actionnaires sous forme de dividendes. Les entreprises conservent donc par-devers elles de moins en moins pour investir. Par ailleurs, les frontières commerciales sont largement ouvertes, notamment vers des pays de la périphérie où les coûts de la main-d'œuvre sont faibles (Chine, Mexique, Vietnam...). Une fraction accrue de la demande se dirige ainsi vers des importations, au point qu'aux Etats-Unis on peut parler d'une « déterritorialisation » de la production.

Ainsi, la nécessité de maintenir une consommation de biens et de services produits sur le territoire américain impose une injection massive de crédit. Chaque année toujours davantage, alors qu'une part croissante de la demande fuit vers le reste du monde et que la production est peu soutenue par l'investissement. Une telle configuration requiert donc plus de crédit qu'il serait nécessaire dans une économie peu ouverte et tournée vers sa propre croissance. C'est là le point essentiel, et là que s'effectue le retour au point de départ : la crise financière que prépare cette montée du crédit. Une trajectoire insoutenable se poursuit par le biais d'une stimulation toujours renouvelée, au prix d'un endettement croissant. A l'arrivée, les sables mouvants du subprime.

A cela s'ajoute le rôle central du dollar, mondialement utilisé dans les transactions commerciales et financières comme devise de réserve, et sur lequel bien d'autres monnaies indexent leur taux de change. Le reste du monde collabore assez allègrement à cette suprématie de la devise américaine ; un énorme flux de billets verts, correspondant au déficit commercial des Etats-Unis, se déverse sur la planète. Les étrangers placent les dollars qu'ils ont reçus en paiement des biens qu'ils exportent vers les Etats-Unis. Ils achètent des actions, des obligations privées et publiques, des bons du Trésor, etc. Ils n'ont d'ailleurs pas le choix. Aucun moyen d'éponger ces dollars n'existe depuis que cette monnaie n'est plus convertible en or. Certes, un désir général de s'en défaire peut entraîner la baisse de son taux de change et, en réaction, rendre nécessaire la hausse du taux d'intérêt aux Etats-Unis. Mais, depuis le début des années 2000, les taux d'intérêt à long terme sont restés bas.

Ainsi l'économie des Etats-Unis glisse-t-elle le long de cette trajectoire où les déséquilibres internes et externes, réels et financiers, vont en s'amplifiant. Les détenteurs de capitaux et les étages les plus élevés de la pyramide des salaires (les uns et les autres se recoupent) prospèrent et s'éloignent du reste de la population. Mais la part de la production manufacturière se réduit, et le pays dépend de plus en plus de la générosité des étrangers. Etrange divergence entre l'enrichissement d'une minorité et les déséquilibres croissants de l'économie nationale. Etrange concomitance entre l'augmentation de la consommation des plus favorisés et l'aggravation des dérèglements d'une économie.

Comment expliquer la poursuite de ce cheminement pendant tant d'années ? Après les récessions de 1982 et 1990, l'activité fut, en fait, soutenue par la poussée miraculeuse des nouvelles technologies dites « de l'information ». D'abord lentement mais de manière particulièrement tenace, la vague de fond s'accéléra dans la seconde moitié des années 1990 : pendant les quatre années de boom boursier, le cours des valeurs technologiques fut propulsé à des hauteurs sans précédent : Nasdaq, le 2 janvier 1996, 1 053 ; le 10 mars 2000, 5 132. Le capital étranger affluait pour profiter de l'aubaine. Mais le boom fut suivi du krach retentissant après 2000 : Nasdaq, le 9 octobre 2002, 1 114.

Avec l'éclatement de la bulle Internet vient, en 2001, la récession que double la crise boursière. C'est à cette occasion que vont se révéler les effets pervers de ces tendances longues. La Réserve fédérale entre en scène, et fait son travail habituel : elle stimule le crédit. Mais les entreprises non financières ne répondent pas à l'appel. Si elles empruntent, ce n'est guère pour investir sur le territoire des Etats-Unis mais pour se livrer à la petite bataille des fusions et acquisitions, ou pour racheter leurs propres actions (2). M. Alan Greenspan met alors les bouchées doubles (lire l'encadré). Il baisse de façon spectaculaire le taux auquel son institution refinance les banques. Toujours plus bas, celui-ci devient même négatif en termes réels, c'est-à-dire une fois soustrait le taux d'inflation.

Le remède produit enfin son effet. Mais à quel prix ? Le secteur financier, ou une fraction de ce secteur, se précipite dans l'espace ouvert par la baisse des taux d'intérêt. Les ménages vont être les acteurs de ce soutien de la demande. Car, aux Etats-Unis, l'expansion formidable du crédit hypothécaire sert à financer à la fois la consommation (comme le paiement des études des enfants, ou les soins, coûteux, dans un pays où la protection sociale est déficiente) et l'immobilier lui-même. Après 2000, la consommation, qui a atteint un niveau très élevé, arrête de croître plus vite que la production totale. Le relais est alors assuré par la construction, en plein boom du fait de la hausse des prix de l'immobilier. L'économie sort de la récession.

Cette issue a plusieurs conséquences : l'entrée en scène d'un secteur financier peu scrupuleux précipitant des ménages potentiellement insolvables dans l'endettement ; la hausse accélérée du déficit du commerce extérieur et la croissance correspondante du financement de ce déficit par le reste du monde ; la baisse des taux d'intérêt, qui encourage les stratégies les plus aventureuses des sociétés financières.

On peut interpréter la conjoncture de sortie de la crise de 2001 en termes de convergence d'intérêts entre la politique de la Réserve fédérale et une grande fraction du secteur financier privé. Trois éléments au total : une politique de stimulation très hardie, rendue nécessaire par une trajectoire insoutenable ; une réponse efficace à court terme, mais également impossible à prolonger, qui va conduire au choc des subprime ; une folle effervescence financière, prolongeant au-delà du raisonnable la trajectoire, et qui va multiplier les conséquences de la crise du crédit hypothécaire. La relation entre la crise et les tendances de la macroéconomie est donc bien réciproque. L'endettement de ménages insolvables a permis la continuation aux Etats-Unis d'une trajectoire périlleuse, mais au prix d'une croissance de la dette, à la fois en valeur et en proportion du revenu national.

La folie financière n'a pas « causé » la tendance, car cette trajectoire est beaucoup plus ancienne et profonde ; elle en a prolongé la durée. Ce n'est pas d'« inconscience » de la part des autorités monétaires qu'il est ici question, mais de réticence à sortir des règles néolibérales ainsi que le réclamerait une correction de trajectoire. Le néolibéralisme n'est pas une affaire de principes mais d'intérêts ; les règles recouvrent donc des desseins beaucoup plus pesants et sacrés que les principes affichés. On va le vérifier dans les mois et les années à venir.

L'ampleur de la crise surprend, et l'urgence de l'intervention est évidente. Nous ne sommes plus en 1929, et « tout » est mis en œuvre pour soutenir le système financier. D'abord, les robinets de la politique monétaire sont ouverts : au total plus de 600 milliards de dollars, et davantage à l'avenir si nécessaire ! Car il s'agit désormais de maintenir en état le système financier qui s'écroule. Mais cela ne suffira pas ; on s'émeut : « Ce qui a débuté comme une détérioration relativement bien contenue de certaines fractions du marché américain des subprime a dégénéré par métastase en dislocation sévère sur les marchés plus larges du crédit et du financement, ce qui menace désormais les perspectives macroéconomiques aux Etats-Unis et dans le monde  (3). »

A court terme, il sera difficile d'éviter un accroissement du déficit budgétaire, lequel correspond déjà à 2,9 % de la production du pays. Pas très néolibéral. Surtout, cette stimulation ne remédiera pas au déficit extérieur croissant. Derrière ce déficit se profilent non seulement l'Europe, mais, de plus en plus, les « pays émergents ». Compte tenu des formidables réserves financières de ces challengers et de la chute du dollar, l'économie des Etats-Unis devient pour eux un fromage.

Des exceptions au coup par coup

Comment éviter cela ? On peut s'attendre à une plus grande intervention de l'Etat : sauvetage du secteur financier ou rachat des créances douteuses, hausse des dépenses publiques, re-réglementation de la finance américaine (interdiction de certaines pratiques de crédit aux ménages et de titrisation, surveillance accrue des fonds spéculatifs). On peut aussi escompter la mise en place d'une défense des entreprises américaines à l'étranger et aux Etats-Unis. Toutefois, il demeure inconcevable que les prochains dirigeants s'en prennent de front au libre-échange et à la libre circulation des capitaux, essentiels à la domination des sociétés transnationales américaines dans le monde.

On peut donc entrevoir une sortie masquée et limitée des règles néolibérales sous forme d'exceptions au coup par coup. Une nouvelle loi sur les investissements étrangers et la sécurité nationale, le Foreign Investment and National Security Act, voté en 2007, a donné au président américain des pouvoirs importants pour limiter les placements de ce type aux Etats-Unis au nom d'une définition très large de la sûreté intérieure. Ce genre de néolibéralisme « bricolé » incarne bien l'étrange destin d'une puissance hégémonique dont la domination à long terme est en jeu.

 

Les présidents changent, l'empire américain demeure

S'adressant à plusieurs centaines de milliers d'Allemands, le candidat démocrate Barack Obama a présenté l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) comme « la plus grande alliance jamais formée pour défendre notre sécurité commune ». Le républicain John McCain souhaite que cette dernière s'engage davantage dans le conflit ayant éclaté en Géorgie. En dépit de leurs différences, une même conception de la place des Etats-Unis dans le monde unit les deux principaux partis.

Par Arno J. Mayer

Tirer à boulets rouges sur le président George W. Bush, un « canard boiteux » désormais, est définitivement passé de mode. Le nouveau sport en vogue consiste à spéculer sur la manière dont M. John McCain ou M. Barack Obama redessinera la politique étrangère américaine. Cet exercice n'est pourtant pas plus productif.

Caligula, troisième empereur de Rome, était un despote cruel. On raconte néanmoins qu'il caressait une idée — significative du peu de respect que lui inspirait son personnage public : nommer son cheval préféré, Incitatus, d'abord au Sénat puis à un poste de consul. Caligula sous-entendait peut-être que la mécanique de l'Empire romain fonctionnait par elle-même et, une fois lancée, qu'elle pouvait s'affranchir de sa cohorte de césars.

Aujourd'hui, alors que les Etats-Unis se trouvent dans l'impasse en Irak et que des bombes à retardement couvent dans le « Grand Moyen-Orient » (Greater Middle East) et dans le Caucase, le problème réside moins dans la désastreuse médiocrité de M. Bush, ou dans l'impériale ardeur du prochain président américain, que dans la volonté propre d'un empire né de la guerre contre l'Espagne (1898) et ordonnateur d'une pax americana au lendemain de la seconde guerre mondiale.

Les Etats-Unis ont survécu à l'aventure vietnamienne ; ils peuvent sortir pratiquement indemnes du fiasco irakien. Momentanément déconcerté, l'empire continuera sa route, entre bipartisme, pressions des milieux d'affaires et bénédictions évangéliques. Cette aptitude à s'offrir des gaffes coûteuses — non pas pour les élites mais pour les classes populaires — caractérise d'ailleurs les Etats impériaux parvenus à maturité. L'empire américain finira certes par s'effondrer, mais les prédictions de déclin précipité sont exagérées. Sans rival militaire à leur mesure, les Etats-Unis demeureront, quelque temps encore, l'unique superpuissance mondiale.

Cependant, à force de lutter contre l'érosion, les empires vaniteux et trop expansionnistes sapent leur pouvoir et leur prestige. Leur nervosité s'accroît. Et leur férocité. On les voit alors trépigner pour rappeler au monde qu'ils ne sont pas des tigres de papier. Etant donné leur posture en Irak et les retombées de cette crise dans la région, les Etats-Unis opteront-ils pour une escalade en Iran, en Syrie, au Liban, en Afghanistan, au Pakistan, au Soudan, en Somalie, en Géorgie, au Venezuela ? Les points de vue de MM. McCain et Obama diffèrent quant au lieu de l'intervention, aux tactiques à mettre en œuvre. Mais ni l'un ni l'autre ne doutent de l'urgence ou de la légitimité d'une telle action. Le premier situe la ligne de front de la « guerre contre le terrorisme » en Irak ; le second en Afghanistan et au Pakistan.

Les Etats-Unis possèdent l'armée la plus puissante du monde. Elle surpasse de très loin toutes celles des anciens empires. Omniprésent sur les mers, dans les airs, dans l'espace et le cyberespace, Washington sait projeter sa force à une vitesse record sur des distances considérables. Ainsi, tel un shérif autoproclamé, se précipite-t-il d'un bout à l'autre de la planète pour maîtriser ou exploiter des crises, réelles ou putatives. « Aucun coin du monde n'est assez reculé, aucune montagne n'est assez haute, aucune grotte ni aucun bunker assez profonds pour mettre nos ennemis hors de notre portée », affirmait M. Donald Rumsfeld, alors ministre de la défense (1). L'Amérique consacre plus de 20 % de son budget annuel à son armée, soit autant que les dépenses militaires du reste du monde. Qu'importe si cela nuit à la société. Les industries d'armement ne réalisent-elles pas de lucratives ventes à l'étranger ? Dans le « Grand Moyen-Orient », les Etats du Golfe — Arabie saoudite en tête — leur achètent pour des milliards de dollars de matériels de défense sophistiqués (2).

Au lieu d'établir des colonies territoriales classiques, les Etats-Unis assurent leur hégémonie en installant des bases militaires, navales et aériennes. Il en existe dans plus de cent pays, les plus récentes en Bulgarie, en République tchèque, en Pologne, en Roumanie, au Turkménistan, au Kirghizstan, au Tadjikistan, en Ethiopie et au Kenya. Seize agences de renseignement, dont les bureaux sont disséminés de par le monde, constituent l'ouïe et la vue de cet empire sans frontières.

Washington possède douze porte-avions, dont trois seulement ne sont pas nucléaires. Ces bâtiments transportent jusqu'à quatre-vingts avions ou hélicoptères ainsi que de forts contingents de soldats, de marins et de pilotes. Autour de ces bâtiments titanesques gravitent des croiseurs, des destroyers, des sous-marins souvent autoguidés et équipés de missiles. La marine américaine veille dans des bases éparpillées sur la surface du globe et patrouille les principales routes maritimes. Elle est l'épine dorsale, le flux sanguin d'un empire d'un nouveau genre. Les bateaux déplacent les avions, qui sont les principaux pourvoyeurs de soldats, de matériel et de ravitaillement. A Washington et au Pentagone, l'US Navy a récemment pris l'ascendant sur les armées de terre et de l'air (3).

Démocratie, droits et... capitalisme

Entre 2006 et 2008, la présence américaine à l'est de la Méditerranée, en mer Rouge, dans le Golfe et dans l'océan Indien témoigne du désir de Washington de montrer sa force partout dans le monde (4). Au besoin en livrant de l'aide humanitaire à la pointe du fusil, dans l'attente d'un avantage politique. Au moins deux porte-avions stationnent actuellement entre Bahreïn, le Qatar et Djibouti. Entièrement équipés en matériel terrestre et en véhicules amphibies, ils transportent des milliers de soldats et de marins ainsi que des personnels formés aux opérations spéciales. Ces géants des mers sont là pour rappeler, comme le déclarait en janvier 2007 le ministre de la défense Robert Gates, que les Etats-Unis « maintiendront longtemps encore leur présence dans le Golfe  (5) ».

Une semaine plus tard, le sous-secrétaire d'Etat chargé des affaires politiques, M. Nicholas Burns, estimait que « le Proche-Orient n'a pas vocation a être dominé par l'Iran ; les eaux du Golfe n'ont pas vocation à être contrôlées par l'Iran. C'est pourquoi les Etats-Unis ont stationné deux unités de combat dans la région (6)  ». Ces paroles de MM. Gates et Burns auraient pu émaner de n'importe lequel des ministres de la défense, des secrétaires d'Etat américains, des directeurs de la Central Intelligence Agency (CIA) ou des présidents des soixante dernières années.

Dans le discours qu'il prononça en janvier 1980, un peu plus d'un an après Camp David I, et quelques semaines seulement après la crise des otages à Téhéran et l'invasion soviétique en Afghanistan, le président James Carter avait été très clair : « Toute tentative d'une force extérieure de prendre le contrôle du golfe Persique sera perçue comme une attaque contre les Etats-Unis. Les moyens adéquats, y compris l'usage de la force, seront utilisés pour repousser celle-ci (7). » Il ajoutait que la présence de l'armée russe en Afghanistan constituait « une menace » pour une région qui « détient les deux tiers des ressources pétrolières exportables du monde » et se trouve « à trois cents miles de l'océan Indien et du détroit d'Ormuz, une voie maritime par laquelle doit transiter l'essentiel des ressources pétrolières du monde ».

Un quart de siècle plus tard, M. Henry Kissinger, ancien secrétaire d'Etat américain, désormais consultant, remettait au goût du jour la doctrine Carter en déplaçant la menace de Moscou à Téhéran : « Si l'Iran devait persister à combiner tradition impériale perse et ferveur islamique contemporaine (...), il ne lui serait tout simplement pas permis de réaliser son rêve impérialiste dans une région aussi importante pour le reste du monde (8). »

Certes, les soldats équipés d'armes conventionnelles ultrasophistiquées sont mal préparés pour ces guerres asymétriques qui ne se déroulent plus entre Etats mais contre des entités ayant recours à des armes et à des techniques non conventionnelles. Mais les porte-avions, les avions de combat, les missiles antimissiles, les satellites militaires, les robots de surveillance, les véhicules et les bateaux autoguidés ont encore de beaux jours devant eux.

Qu'elles soient directes ou indirectes, ouvertes ou secrètes, militaires ou civiles, les intrusions dans les affaires intérieures d'autres Etats constituent, depuis 1945, la pierre angulaire de la politique étrangère américaine. Washington n'a pas hésité à intervenir, le plus souvent de manière unilatérale, en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, au Liban, en Palestine, en Iran, en Syrie, en Somalie, au Soudan, en Ukraine, en Géorgie, au Kazakhstan, au Nicaragua, au Panamá..., défendant inlassablement les intérêts américains tout en prônant des variantes de la démocratie, du capitalisme, des droits humains.

Prenant pour modèles l'Agence américaine pour le développement international (United States Agency for International Development, Usaid), le programme Fulbright (9) et le Congrès pour la liberté de la culture (10) lancés à l'époque de la guerre froide, les gros bras de la nouvelle « guerre mondiale contre le terrorisme » ont imaginé des mécanismes équivalents : Compte du défi du millénaire (Millenium Challenge Account), Initiative pour le partenariat au Proche-Orient (MEPI), l'un et l'autre émanant directement du département d'Etat. Se remémorant les jours glorieux de la Rand Corporation, de l'Institut d'analyse stratégique et des chaires d'études soviétiques, le ministère de la défense a enrôlé des universitaires dans le projet Minerva afin qu'ils apportent leur concours aux nouveaux combat anti-insurrectionnels.

L'économie surpuissante de l'Amérique, sa culture syncrétique et sa science sont à l'image de sa puissance militaire : inégalées. Mis à part les déficits fiscaux et commerciaux abyssaux, qui grippent parfois son système financier et secouent la planète, l'économie américaine demeure robuste et bat la cadence de la « destruction créatrice (11) », sans tenir compte de son coût social, aux Etats-Unis comme à l'étranger.

Le rétrécissement de son secteur industriel et manufacturier pourrait s'avérer le maillon faible. Cependant, les Etats-Unis tiennent encore le haut du pavé en matière de recherche et de développement, de brevets en cybernétique, biologie moléculaire et neurologie. Leur ascendant planétaire est conforté par les crédits publics, les dons privés et le mécénat d'entreprise dont bénéficient leurs universités et leurs instituts de recherche, qui établissent des antennes à l'étranger en même temps qu'ils drainent les cerveaux du monde entier. L'engouement pour les musées globalisés, l'architecture des sièges des grandes entreprises et la généralisation des stratégies de marketing politique ou commercial obligent ceux qui en douteraient encore à admettre que le modèle américain perdure bel et bien.

Recruter des soldats à prix cassé

Il n'est donc pas étonnant que le pays récolte une moisson disproportionnée de récompenses internationales en économie mais aussi en sciences naturelles. Plus édifiant encore, l'anglais américain s'impose dans le monde entier comme une lingua franca (une langue universelle), en particulier pour les jeunes générations et les utilisateurs d'Internet. Ce phénomène explique et alimente l'immense influence des multinationales et des institutions financières publ



01/11/2008
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