Juancitucha

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Etat d’urgence face à une révolte indienne



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Le gouvernement péruvien du président Alan Garcia a décrété lundi l'état d'urgence pour une période de trente jours dans les régions amazoniennes secouées depuis une semaine par la révolte des populations indiennes.

Peintures de guerre sur le visage, portant arcs et flèches, plusieurs milliers d'Indiens de la forêt amazonienne péruvienne sont sur le pied de guerre. Ils demandent l'abrogation d'une série de lois et de décrets permettant la vente de terres, qu'ils considèrent comme leur appartenant, à des entreprises péruviennes ou étrangères, qui exploiteraient les ressources forestières ou pétrolières qui s'y trouvent. Selon les estimations d'économistes péruviens, les seules richesses forestières se monteraient à trois milliards cinq cents millions de dollars. Sur le plan économique, l'enjeu est d'importance. Mais les Indiens ne voient pas les choses de la même manière. Pour eux, les terres sont un héritage historique doté d'une dimension divine. La terre est la « mère nourricière ». Elle ne peut être divisée et vendue. Elle est inaliénable. Selon les traditions indiennes, le gouvernement péruvien est donc hors-la-loi. Et le soulèvement de ces derniers jours est donc parfaitement légitime.

Ce faisant, les Indiens renouent avec une vieille tradition péruvienne. Dans les années 1960-1970, de très importants soulèvements avaient eu lieu dans les Andes. De nombreuses communautés indigènes s'étaient emparées des terres sur lesquelles vivaient leurs familles depuis des siècles. Sur un plan chronologique, ce conflit était la suite, après de très nombreux épisodes, de la conquête de l'empire Inca par les conquistadores espagnols.

Flambée des cours des matières premières

L'actuel affrontement oppose toujours le pouvoir centralisateur - le gouvernement de Lima - à des Indiens, mais ce ne sont pas les mêmes. Cette fois-ci, il s'agit des tribus amazoniennes. Ce sont des groupes beaucoup moins nombreux que les indiens des Andes. Les 65 « ethnies » pour reprendre la terminologie qu'emploient eux-mêmes ces groupes, rassemblent environ 12 000 personnes qui vivent dans la forêt amazonienne, rassemblées dans de petites bourgades.

L'entrée en conflit de ces groupes est donc la conséquence directe de la flambée des cours des matières premières sur les marchés mondiaux, en particulier le bois et le pétrole. Des gisements encore inexploités, des zones forestières pas encore concédées, sont désormais rentables, malgré leur éloignement relatif des zones de consommation. Logiquement, le gouvernement péruvien s'emploie à attirer de grandes entreprises à même d'exporter ces matières premières et de lui verser des royalties. Grand producteur de métaux précieux et non-ferreux, le Pérou a réussi à profiter de cette manne au cours des dernières années, amenant une croissance économique forte, même si les inégalités sociales persistent.

Cette opposition entre deux visions du monde explique la difficulté du dialogue entre les deux camps. D'un côté, les groupes indiens qui ont occupé l'une des principales routes du pays reliant les zones andines aux zones amazoniennes, des stations de pompage pétrolier et deux dépendances d'une entreprise argentine exploitant le gisement de gaz géant de Camisea. Ces Indiens ont interrompu les négociations avec les représentants du gouvernement. Ils exigent d'avoir face à eux, non pas un modeste ministre de l'Environnement, mais le président Alan Garcia lui-même, son premier ministre Jorge del Castillo et le président du Congrès. Côté gouvernemental, on ne raisonne évidemment pas de la même manière. La raison d'Etat prime. Il faut exploiter ces régions et assurer l'ordre public. C'est pourquoi, face à la radicalisation des mouvements indiens, le président Garcia a convoqué dimanche un conseil des ministres et pourquoi depuis lundi, l'état d'urgence a été décrété dans les régions qui s'agitent, près de Cuzco, au sud-ouest du pays, et bien plus au nord encore.

« Complot contre le pays »

Cependant, loin de calmer la situation, la décision d'imposer l'état d'urgence n'a fait que l'exacerber. Selon Alberto Pizango, qui préside l'Association interethnique de développement de la forêt amazonienne, « nous sommes prêts à mourir pour nos terres. Ce serait un honneur. Nous ne reculerons pas. Si le gouvernement veut nous tuer, qu'il le fasse mais nous lutterons pour faire savoir au monde que le gouvernement viole les droits de l'homme. »

Le discours d'Alberto Pizango et des dirigeants indiens est pour les autorités péruviennes cousu de fil blanc. Il s'agit d'un « complot contre le pays », a estimé le Premier ministre Jorge del Castillo qui s'explique ainsi la cohérence du mouvement. L'hostilité gouvernementale s'explique aussi par l'implication de partis politiques d'opposition dans ce mouvement. Ainsi, le parti nationaliste de l'ancien candidat populiste à la présidence, Ollanta Humala, estime les manifestations indiennes « légitimes ». Et coïncidence ou pas, le mouvement des Indiens de l'Amazonie péruvienne a démarré au lendemain de la réunion à Lima de la Coordination andine des peuples indigènes. Cette Coordination avait protesté contre la « criminalisation du mouvement de contestation sociale » au Pérou et l'avait attribuée à « la politique discriminatoire et répressive déclenchée contre ceux qui refusent la globalisation néolibérale en Amérique latine. »


 

source : http://www.rfi.fr/actufr/articles/104/article_70993.asp



20/08/2008
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