Juancitucha

Juancitucha

Les Egyptiens d'Amérique du Sud


Partagez cet article :           


HTML clipboard

Visite aux archéologues qui découvrent les fastes et les cruautés des anciens Péruviens.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL AU PÉROU. Ils n'ont pas de chance les Chavin, les Mochicas, les Chimus, les Waris et autres Lambayeque, sans parler des Nasca ou des Pachacamac. Voilà des gens qui, comme les anciens Egyptiens, se souciaient beaucoup de leur destin après la mort et qui sont loin de bénéficier de la même célébrité. Comme eux, pourtant, ils nous ont laissé leurs tombes en témoignage d'un haut degré de civilisation.

A Sipàn, à 600 km au nord de Lima, près de la côte du Pacifique, les archéologues continuent d'explorer une nécropole royale qui a miraculeusement échappé aux pillards. Il faut dire qu'à partir d'un certain rang social, on était enterré profond. Une bonne dizaine de mètres en contre-bas, à plat-ventre sur des planches, nous voyons plusieurs personnes dégageant au pinceau et au scalpel les couches de bijoux et autres insignes du pouvoir écrasées sur le squelette de celui qui semble être une sorte de Premier ministre. A quelques kilomètres de là, le spectaculaire ensemble retrouvé dans la tombe voisine du « seigneur de Sipàn » est exposé - après restauration - au Musée des tombes royales de Chiclayo. Les milliers de perles des pectoraux, les marqueteries de coquillages et les bijoux moitié or, moitié argent ont de quoi tirer des exclamations admiratives aux plus blasés. Macabre à souhait, le reste du contenu est même susceptible de capter l'attention des enfants et des ados : femmes, concubines et autres porte-étendards accompagnaient le seigneur dans la mort, « volontairement » nous assure-t-on. Leur tranquillité était assurée par un « gardien » armé, les pieds coupés pour qu'il ne quitte pas son poste...

Comme les autres « cultures » précolombiennes du Pérou évoquées plus haut, les Mochicas, qui ont régné ici huit siècles, entre le Ier siècle avant Jésus-Christ et le VIIe après, se sont fait voler la vedette par les Incas. Des gens dont l'empire avait tout juste un siècle quand Pizarro et ses soudards sont arrivés dans ce qui deviendra le Pérou. Les chroniqueurs espagnols nous ont essentiellement rapporté les propos et l'histoire de ceux qu'ils rencontraient : des Incas. L'exemple de Miguel Cabello de Balboa transcrivant le beau mythe fondateur des Sican ou Lambayeque (le roi Naymlap et ses gens arrivant de la mer sur un grand radeau évoquant le Kontiki) est une exception. Le reste de cette tradition orale est irrémédiablement perdu, car toutes ces cultures n'avaient pas d'écriture.

Sacrifices humains

Les anciens habitants du Pérou n'en ressentaient pas le besoin, estime l'archéologue Walter Alba, un des « inventeurs » du site de Sipan. Ils n'avaient pas besoin de transmissions lointaines. Les Incas ont fini par inventer le kipu (système de message par noeuds sur des cordelettes), parce que leur empire était exceptionnellement étendu. Mais, en dehors de l'« empire » Wari (600 à 900 après-J.-C.), leurs prédécesseurs administraient des Etats de la dimension d'une ville. Le long de cette côte plate et désertique, qui s'étend entre la cordillère des Andes et le Pacifique, les royaumes s'organisaient autour d'une vallée et d'un système d'irrigation.

Comble de malchance pour eux et, dans une certaine mesure, pour nous, visiteurs d'aujourd'hui, tous ces prédécesseurs des Incas qui ont développé ici des cultures complexes pendant plusieurs millénaires bâtissaient en utilisant le principal matériau local : la terre. Là où le guide vous annonçait une « pyramide », vous vous retrouvez devant une sorte de colline ravinée évoquant vaguement un énorme gâteau au café, qui aurait coulé sous l'effet de la chaleur. Il faut creuser dedans pour retrouver l'appareil de briques, chacune marquée d'un signe distinctif, signature d'un généreux donateur ou trace d'un impôt en nature. Avec un peu de chance, on retrouve les places ou terre-pleins sur lesquels on devait se rassembler pour les cérémonies. Les murs gardent les traces de bas-reliefs très stylisés, géométriques - files de prisonniers enchaînés, frises d'Ayapayec, dieu grimaçant aux dents acérées - évoquant un univers assez effrayant, où les sacrifices humains étaient familiers.

Dans leur malchance, ces ruines bénéficient quand même d'un facteur de longévité. Ici, on ne construisait pas en détruisant l'oeuvre des prédécesseurs pour se faire de la place ou pour récupérer des matériaux. Soit on abandonnait un site pour aller construire un nouveau temple-palais-pyramide plus loin, soit on rajoutait une couche de pyramide par-dessus les précédentes. Si bien qu'une coupe comme on en voit une aujourd'hui à la Huaca de la Luna permet de retrouver les strates successives de constructions.

Le nombre et l'ampleur de tous ces sites sont impressionnants. Du sommet de la colline du purgatoire (un nom donné par les Espagnols) à Tucume, ou du haut de Cao Viejo à El Brujo, ou encore dans le dédale des palais de Chan Chan, l'ampleur des sites qu'on découvre vaut celle des pyramides de Gizeh ou de Saqara. Mais ces restes de terre exigent plus d'imagination que des architectures de pierre.

Tout autour, à perte de vue, le terrain est percé de mille cratères, comme si la bataille de Verdun ou le débarquement de Normandie avaient eu lieu ici. Ce sont les traces des « huaceros », les pilleurs. La recherche de l'or, de l'argent, des poteries et autres pièces de valeur a commencé trois ans après l'arrivée des Espagnols et, depuis bientôt cinq siècles, elle n'a pas cessé. La réforme agraire des années 1970 a relancé le mouvement en libérant l'accès des anciens latifundia à une armée de pilleurs misérables. La presse rapporte toujours aujourd'hui des histoires de pièces archéologiques récupérées à la frontière ou sur l'étal d'un chaman. Parmi leurs différentes bondieuseries catholiques, fioles d'herbes bienfaisantes, épées, coquillages et autres cactus hallucinogènes, ces rebouteux toujours actifs et prospères aiment bien arborer un ou deux huacos, qui leur transmettent du fond des siècles les pouvoirs des Indiens précolombiens.

Poteries mochicas

Une précision linguistique s'impose ici - nous n'en abuserons pas - pour éclairer les similitudes entre « huaca », « huaco », « huacero ». La « huaca » est le site « sacré », sans doute centre du pouvoir temporel et spirituel en même temps, matérialisé par une pyramide tronquée. Rois et prêtres étaient portés jusqu'au sommet sur des chaises à porteurs que l'on retrouve dans les tombes, les porteurs suivant des plans inclinés et non pas des escaliers pour ne pas secouer leur précieuse charge. Le « huacero » est le pilleur. Le « huaco », enfin, est un des innombrables objets en céramique produits par tous ces ancêtres des Incas et des Péruviens modernes. Cette terre-là était cuite, heureusement, et a très bien traversé les siècles, surtout quand elle accompagnait les morts dans leur tombe. Quand on voit quelques huacos, on peut ne pas y prêter attention, surtout s'il s'agit des reproductions que vendent les boutiques pour touristes.

Mais si vous avez la chance d'aller à Lima, même si vous n'avez pas le temps d'aller dans le nord du Pérou, visitez absolument le musée Larco. Vous allez voir des centaines de huacos collectionnés ou trouvés par Rafael Larco Hoyle (1901-1966) dans les environs de ses terres de Chiclin, dans le nord du Pérou. L'effet d'accumulation de ces vitrines à l'ancienne est saisissant, et les poteries mochicas particulièrement intéressantes. On ne sait pas d'où les anciens Péruviens ont appris la poterie, qu'ils semblent maîtriser d'emblée. Heureusement, ils ne connaissaient pas le tour et donc chacun de leurs huacos se transforme en une sorte de petite sculpture qui nous apporte du fond des siècles un témoignage d'une incroyable fraîcheur. Les visages sont manifestement ceux de personnages réels, dont les traits indiens ressemblent beaucoup à ceux d'une grande partie de la population péruvienne d'aujourd'hui. Ces visages ont des expressions, de colère ou de gaieté. Les animaux sont saisis dans des scènes pleines de vie. Les mochicas nous montrent dans leurs modelages les légumes qu'ils cultivaient (maïs, courges, melons, haricots, etc.), les poissons qu'ils pêchaient (les symboles marins ont beaucoup d'importance pour ces peuples qui vivaient au bord d'une des mers les plus poissonneuses du globe). Pour finir, ces poteries sagement rangées dans leurs vitrines racontent mille et une choses sur les moeurs du temps, et quand je dis moeurs... Le clou de la collection est une série de poteries érotiques dans laquelle on croit déceler un intérêt certain et fort réaliste pour la vie sexuelle, même si les archéologues nous assurent qu'il faut y voir des « accouplements mythiques ».

Cette production est tellement caractéristique que les premiers archéologues - des amateurs éclairés comme Larco Hoyle - ont organisé l'histoire de ces « cultures » en fonction de la céramique. On parle de « précéramique » avant 2000 avant Jésus-Christ. Les musées matérialisent volontiers l'enchaînement des cultures sur un site par une sorte d'escalier, sur lequel figure une de leurs céramiques (celles des Incas ne sont pas les plus intéressantes).

Si vous avez l'occasion de visiter un jour ces sites, les guides, les indications des musées ou celles des archéologues que vous aurez peut-être la chance de rencontrer insisteront sur les différences de ces cultures entre lesquelles vous vous emmêlerez facilement. En réalité, pour l'Européen habitué à d'autres ancêtres, les points communs entre tous ces Péruviens précolombiens sont tout aussi frappants. Nous avons déjà parlé des huacas et de leurs pyramides, de la céramique, de style certes très différent mais néanmoins toujours importante, comme moyens d'expression.

Les bijoux des seigneurs et autres grands prêtres permettent également de savoir qu'on est dans l'ancien Pérou, aussi sûrement qu'un profil permet de reconnaître l'ancienne Egypte. Le visage était enserré entre un diadème au-dessus, un pectoral en dessous, de grosses boucles d'oreilles sur le côté. Et, comme si tout cela ne suffisait pas, s'y ajoutaient ces étranges parures de nez, plaques de métal accrochées dans les narines (il faut souffrir pour être puissant) qui devaient rendre encore plus énigmatique et inhumaine l'expression de celui ou celle qui devait être respecté(e) ou craint(e). Celui ou celle, car une des découvertes récentes les plus troublantes a été celle de la « senora de Cao », la dame de Cao. En dégageant une place de cérémonie à flanc de pyramide, les archéologues sont tombés par chance sur une tombe, dont le cercueil avait résisté au temps, et dans ce cercueil, ils ont trouvé un corps momifié, qu'ils ont mis plusieurs mois à débarrasser de ses 26 couches de tissus, bijoux, couvertures... jusqu'à la surprise finale : le roi était une reine, de vingt-cinq ans à peine, sans doute morte en couches... Son peuple s'était consolé en l'inhumant avec trois ou quatre autres « volontaires » dont, comme d'habitude, quelques jeunes filles encore plus jeunes.

La cruauté de ces civilisations interpelle évidemment le visiteur. Que penser de ces cohortes de prisonniers de guerre nus, destinés au sacrifice rituel représentés sur les bas-reliefs ? Comment ne pas être troublé par ces faces de dieux effrayantes portant couramment dans une main le couteau de sacrifice et dans l'autre une tête tranchée ?

Peut-on imaginer que les cataclysmes naturels propres à cette région du monde ont imposé l'image de dieux cruels qu'il fallait se ménager ? On sait l'importance de la crue du Nil pour l'Egypte ancienne. Ici, le principal phénomène climatique, El Nino, n'est pas annuel mais aléatoire. Les années où ce courant chaud vient frôler les côtes du Pérou, c'est le monde à l'envers : les plaines désertiques verdissent, et les montagnes verdoyantes s'assèchent, les bêtes y meurent de soif et les poissons de chaud. Dans la légende des Sican recueillie par Balboa, le dernier roi, Fempellec, a le malheur de déplacer une idole et de coucher avec le diable qui a pris les traits d'une femme (évidemment). Résultat : trente jours de pluie ininterrompue, à laquelle les prêtres mirent fin en jetant le roi coupable à la mer. Ajoutons-y quelques tremblements de terre et imaginons quelle image des dieux tout cela génère. Tout près de Lima, on visite encore un immense site sacré, encerclé de bidonvilles ; c'était le temple de Pachacamac, principal site sacré de la côte pendant quinze siècles. Pachacamac était le dieu des tremblements de terre, celui dont un mouvement de tête suffisait à déclencher une catastrophe.

Et Tintin dans tout ça ? « Les Sept Boules de cristal », « Le Temple du soleil » ? Quelle malédiction menace les archéologues péruviens, qui après les étrangers, relancent les recherches dans cette région du monde très pillée mais peu explorée ? Réponse des pilleurs de tombe : le cinabre. Ce sulfure de mercure de couleur très rouge recouvrait la peau de certaines personnes inhumées et parfois une partie des bijoux, notamment les masques mortuaires. Or le cinabre est toxique. La voilà, la malédiction de la momie.

 

http://www.lesechos.fr/info/loisirs/4652549.htm

 



22/05/2008
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 85 autres membres