Juancitucha

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Les Indiens contre le pillage des ressources


Après une révolte –sanglante- des Indiens, le Pérou a abrogé en juin une série de lois permettant de favoriser l'exploitation du gaz et du pétrole en Amazonie. Le sociologue Yvon Le Bot, spécialiste de la question indienne en Amérique Latine, revient sur ces mouvements indiens qui se développement de plus en plus dans tout le continent pour lutter contre l'exploitation abusive des ressources naturelles de leurs terres.



Durant ces derniers mois, les Indiens de l’Amazonie péruvienne ont bloqué routes et forêts pour protester contre la politique pétrolière du président Alan Garcia. Un mouvement qui a porté ses fruits puisque les décrets controversés ont été abandonnés. Ce type de révolte est-il nouveau au Pérou ?


Yvon Le Bot. Oui. Jusqu’à présent, malgré la forte population indigène au Pérou, il n’existait pas de fort mouvement indien, en partie du fait de leur étouffement par les régimes autoritaires successifs, militaires et civils, et par la guérilla livrée par le Sentier lumineux dans les années 80/90. Mais depuis un an, un mouvement s’est forgé contre la politique d’Alan Garcia très défavorable aux droits des communautés indiennes et très favorable en revanche, à la mise sur le marché des ressources naturelles du pays. Des actions d’opposition pacifiques se sont donc déroulées dans le pays mais la volonté du président de passer en force avec des décrets facilitant l’exploitation des richesses pétrolières a radicalisé le mouvement jusqu’aux affrontements de Bagua qui ont fait au moins une trentaine de morts et de nombreux blessés.



Cette prise de conscience est-elle commune à l’ensemble de l’Amérique Latine ?


Yvon Le Bot. L’exploitation du sous-sol et la dévastation de l’environnement des territoires par les compagnies industrielles y est devenue dramatique. Il ne s’agit pas seulement du pétrole mais aussi du gaz, des ressources hydrauliques, forestières, de l’élevage extensif et même aujourd’hui du tourisme…Et cela n’est pas prêt de s’arrêter. La forêt par exemple est devenue un enjeu capital et avec le développement futur des voitures électriques par exemple, on redécouvre l’intérêt du salar d’Uyuni dans le sud de la Bolivie qui détient d’importantes réserves de lithium…Dans plusieurs pays comme l’Equateur, la Colombie, le Chili ou le Brésil, des mouvements indiens s’opposent à ce pillage des ressources qui sont situées en grande partie sur leur territoire. En Equateur, un procès historique est en cours entre des communautés amazoniennes et Texaco. Pour la première fois, la compagnie pétrolière est mise en difficulté.

Ce mouvement indien semble rejoindre la cause écologiste…

Yvon Le Bot. De plus en plus oui. En Amérique latine, le mouvement écologique est très peu développé. En revanche, les mouvements indiens qui se développent depuis les années 60 dans la plupart des pays, ont acquis une capacité à se défendre et disposent désormais d’outils juridiques pour le faire. La défense de l’environnement est donc davantage portée par ces communautés -plus organisées- qui portent des revendications similaires concernant la sauvegarde de la diversité culturelle mais aussi de la biodiversité. Les associations indigènes s’ouvrent d’ailleurs de plus en plus à des courants sociaux ou écologistes. Cette convergence n’allait pas forcément de soi car contrairement à une image idyllique, les Indiens ne sont pas toujours respectueux de la nature. Dans certaines zones, écologistes et Indiens sont d’ailleurs en opposition. Globalement cependant, les Indiens sont aujourd’hui nos meilleurs alliés dans la redéfinition d’un équilibre basé sur le développement durable.


Des ressources encore sous la coupe des étrangers
Attirées par les immenses ressources en pétrole, gaz et minerais, de nombreuses compagnies étrangères opèrent aujourd’hui en Amérique du Sud. Parmi les principales on trouve les américains Oxy et Texaco, le franco-britannique Perenco, le britannique BP, le français Total, l’espagnol Repsol ou encore le brésilien pour le pétrole et le gaz. Les ressources minières sont elles aussi exploitées en grande partie par des compagnies étrangères, particulièrement des entreprises canadiennes comme Barrick Gold ou Gold Corp dont les impacts sur l’environnement et les communautés indiennes sont particulièrement critiqués. Depuis quelques années, la Chine prend également un rôle de plus en plus important dans l’exploitation des ressources naturelles du continent dont il est devenu un partenaire commercial de premier plan.



Ces revendications indigènes sont elles aussi portées par les gouvernements ?


Yvon Le Bot. Cela dépend des pays. Au Pérou, le gouvernement reste favorable à une exploitation débridée des ressources naturelles même s’il a –provisoirement ?- reculé (en autorisant le développement d’un vaste projet pétrolier de Perenco quelques jours seulement après le conflit indien selon l’ONG Survival, ndlr). En Equateur, le régime néo populiste de Rafael Correa tente de contrôler les ressources du sol/sous-sol et a fait voter une constitution modèle quant au respect des Indiens et de l’environnement. Il vient d’ailleurs de proposer de ne pas exploiter le pétrole de la réserve amazonienne de Yasuni. Mais pendant ce temps, il confie aux forces armées, aussi peu respectueuses de l’environnement que les compagnies pétrolières, l’exploitation du pétrole dans d’autres zones de la forêt… Il y a donc une certaine ambivalence de la part du gouvernement, qui rend d’ailleurs sceptique les communautés indiennes sur la réalité de ses intentions.



Et dans les autres pays ?


Yvon Le Bot.De son côté le Brésil a créé d’énormes réserves indigènes en Amazonie, tout en en livrant d’autres à l’exploitation agricole ou aurifère car les enjeux économiques sont énormes et les lobbies puissants. Enfin, en Bolivie, le président indien Evo Morales a lui renationalisé les réserves d’hydrocarbures et renégocié les contrats avec les compagnies pétrolières étrangères qui payaient d’infimes royalties à l’Etat. Cependant, alors que les entreprises étrangères avaient menacé de partir en cas de nationalisation, presque toutes sont restées et ont finalement accepté de négocier. Mais les garanties que ces compagnies respecteront davantage l’environnement sont faibles.



Les entreprises ne sont donc pas totalement persona non grata dans ces territoires ?


Yvon Le Bot. Non. Les Indiens eux-mêmes ne demandent pas leur expulsion, ils ne sont pas contre le progrès ni le développement économique. Ils demandent simplement une exploitation raisonnée des ressources et l’application de la Convention 169 de l’Organisation internationale du travail qui interdit l’exploitation des territoires sans consultation des communautés indiennes. Cette charte, en principe contraignante, n’est pas appliquée dans de nombreux pays comme le Pérou qui l’a pourtant signé.


La Grande révolte indienne d’Yvon Le Bot, éditions Laffont, avril 2009

B
éatrice Héraud
Mis en ligne le : 23/07/2009
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sources : http://www.novethic.fr/novethic/planete/economie/matieres_premieres/amerique_latine_indiens_contre_pillage_ressources/121146.jsp


18/08/2009
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