A Lima, des jeunes délinquants se voient offrir une alternative à la peine de prison
Un polo trop
large, des cheveux noirs qui lui tombent sur les yeux... Abel a tout de
l'adolescent typique de Lima. Son visage enfantin est pourtant trompeur : à 17
ans, ce garçon a déjà beaucoup vécu. Dernier d'une famille sans argent, il a
connu la rue, ses drogues et ses mauvaises fréquentations. Il y a trois mois,
Abel s'est retrouvé au commissariat. "J'ai été arrêté pour avoir volé
une paire de baskets", confie-t-il.
La
délinquance, premier souci des Liméens
Selon une enquête publiée par le
quotidien El Comercio au mois de janvier, la délinquance vient largement
en tête de préoccupations des habitants de Lima. Pour 66 % des Liméens
consultés, leur principal souci est la criminalité, suivi par la vente de
drogues (38 %). Ces deux questions précèdent la pollution (30 %), la
prostitution sur la voie publique (28 %) ou les problèmes du trafic automobile
(25 %) et des transports publics (22 %). Toutefois, Lima ne figure pas parmi
les métropoles d'Amérique latine où l'explosion du nombre d'homicides a fait de
l'insécurité un défi majeur pour les pouvoirs publics.
Normalement Abel aurait dû se
retrouver à Maranguita, un centre correctionnel pour mineurs, surpeuplé. Mais
dans le quartier pauvre d'El Agustino, où il réside, les choses sont
différentes. Depuis 2005, la fondation Terre des hommes-Lausanne, associée à
l'association locale Encuentros ("Rencontres"), a convaincu les
autorités d'éviter de condamner les mineurs à une peine de prison dans la
mesure où le délit n'est pas trop grave, et de les soumettre à un programme de "justice
juvénile réparatrice" visant à les réinsérer dans la société.
"L'idée est qu'il existe
des alternatives à la correctionnelle, moins chères et plus efficaces, justifie Jean Schmitz, le délégué de Terre des hommes au Pérou, à
l'origine du programme d'El Agustino. L'une d'entre elles est la figure
juridique de la "rémission", qui consiste à ce que le mineur ne soit
pas soumis à un processus pénal, mais participe à un programme d'orientation
socio-éducatif mis en place par des professionnels."
Tout commence au commissariat,
dès l'arrestation du mineur, par une rapide évaluation de sa situation et de la
gravité du délit commis : en cas de viol ou de meurtre, l'affaire est de toute
façon transférée devant la justice pénale. Ensuite, l'équipe d'intervention de
Terre des hommes, composée d'un avocat, d'une assistante sociale et d'un
psychologue, fait une suggestion aux autorités judiciaires. "Si le
jeune est d'accord, on propose que le programme le prenne en charge",
explique l'avocat Vladimir Rojas. Quelques heures après avoir été arrêté, Abel est
donc retourné chez lui, non sans s'être engagé de manière écrite, avec l'appui
de son père, à faire partie du programme "justice réparatrice".
Depuis, sa vie a changé. "J'ai
repris l'école", raconte le garçon, qui a pu avoir accès à un
établissement comprenant des classes adaptées aux jeunes en difficulté. Il a
aussi accepté un poste de jardinier à la municipalité. "Abel a toujours
travaillé pour survivre, mais c'est la première fois qu'il prend un emploi
l'obligeant à suivre les règles de l'employeur, à avoir des horaires, des
collègues", se félicite Alexis Cucho, un des éducateurs.
Ateliers, sessions en groupe :
l'équipe d'encadrement met au point pour chaque mineur un programme
d'orientation basé sur les problèmes de l'adolescent, mais aussi sur ses points
forts et ses centres d'intérêt. "Tout cela nous aide à capter son
attention et à l'atteindre", détaille M. Cucho. Son but ? Que
l'adolescent se rende compte du mal provoqué par son geste. Mission accomplie
dans le cas d'Abel, qui reconnaît depuis peu sa responsabilité dans le vol des
baskets.
"Il a pris conscience de
ce qu'il avait fait le jour où il a joué le rôle de la victime", raconte l'éducateur, qui cherche ainsi à
ce que le mineur change d'attitude. Certains rechutent avant de prendre
conscience de leur situation. "Parfois, les gens ne comprennent pas, et
disent que l'on soutient des délinquants qui continuent de voler, mais c'est
tout un processus de changement qui n'a pas lieu du jour au lendemain",
explique M. Cucho.
Un travail est fait en parallèle
avec la victime. "Au début, pour lui expliquer sa situation juridique,
mais aussi qui on est", affirme Marjorie Vegas, de l'équipe de soutien à la victime. Parfois, au
terme du processus de réhabilitation de l'adolescent, une rencontre est
organisée avec la victime pour que les deux personnes s'expriment. "Cela
n'arrive pas souvent, mais quand cela a lieu, la victime finit généralement par
comprendre ce qui a poussé le jeune à mal agir, et accepte ses excuses",
sourit Mme Vegas.
En quatre ans d'existence, le
programme mené à El Agustino, mais aussi dans la ville de Chiclayo, au nord du
Pérou, a assuré une aide juridique à 1 000 mineurs, dont 600 ont pris part au
programme. Depuis 2005, seuls 7 % ont récidivé. "Avant le programme, le
taux de récidive à El Agustino était de 56 %", assure le commandant de
la police, Daniel Llaury.
Combien rechutent en sortant de
Maranguita ? Les chiffres ne sont pas connus. On sait, en revanche, que 98 %
des Péruviens de 18 ans à 21 ans incarcérés dans la prison de San Juan de Lurigancho, à Lima, sont déjà passés par un centre correctionnel. "Quand
les gens me disent qu'il faut "tous les mettre en prison", je leur
dis d'en visiter une et ils verront une école de la délinquance dont les jeunes
sortent encore plus violents", plaide Jean Schmitz. Un congrès mondial
vient de se tenir à Lima sur les expériences de "justice juvénile
réparatrice".
Face au succès de Terre des
hommes, le ministère de la justice s'est engagé à verser 400 000 soles (100 000
euros) en 2010 pour étendre le programme à trois nouveaux districts de Lima, et
continuer le travail de sensibilisation auprès de la société. "Policiers,
commerçants, associations, école, justice, tout le monde a un rôle à jouer dans
la réinsertion, insiste la coordinatrice du programme d'El Agustino, Patricia Magallanes. Ces jeunes sont comme les autres, ils ont
juste eu un peu moins de chance à un moment donné de leur vie."
Site de
l'expérience au Pérou : www.justiciaparacrecer.org.
Chrystelle Barbier
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