Colonisation du futur
« Colbert, comme tous les
hommes de son temps, vivait dans les cadres bibliques, avec une perspective
temporelle de quatre mille ans, mais il envisageait l’avenir du royaume sur des
siècles, en faisant par exemple planter des arbres pour construire les flottes
futures. En revanche, nos maîtres, qui semblent ignorer totalement les quinze
milliards d’années de la cosmologie contemporaine, pensent leur action sur quelques
années ou quelques mois, en fonction des élections prochaines. Aussi, pour
maîtriser ce futur effrayant qui nous échappe, nous mettons en œuvre tout notre
savoir pour l’asservir, pour faire qu’il ne puisse être autre chose que la
continuation amplifiée du présent.
C’est le
rôle du crédit, ressort
fondamental de l’économie moderne. Nous vivons à
crédit ; c’est un truisme
à première vue, mais on ne mesure pas toujours ce que
cela signifie. Cela veut
dire que tout le savoir humain est mobilisé pour la colonisation
du futur. En
liant le présent à des événements virtuels,
on le bloque sur ce qu’il est, on
l’empêche d’être autrement. Une
société d’endettés est prisonnière du
futur,
elle ne peut plus prendre de risques, se battre pour ses droits, ou
envisager de
vivre autrement. (...)
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