Evidemment, les comportements individuels ont toute leur importance dans la préservation d’un environnement de plus en plus menacé, et il ne s’agit pas de les dénigrer. Mais cette rééducation écologiste organisée par les pouvoirs publics, relayée par les médias et appuyée par bien des financeurs privés a aussi un sens politique quand, dans le même temps, la plus grande discrétion couvre le lobbying effréné que mènent les grandes firmes pour échapper à la contrainte. De la même manière, les gouvernements prennent bien soin de ne jamais évaluer l’impact global des politiques libérales sur l’environnement, ce qui donnerait sans aucun doute le tournis. Pour ne citer qu’un exemple, l’Union européenne, que chacun s’accorde à trouver « en pointe sur les questions environnementales », continue de consacrer 50 milliards d’euros par an pour soutenir une agriculture intensive destructrice des écosystèmes et de la paysannerie.
Pour s’adapter à l’air du temps et au format médiatique dans lequel se fond le discours officiel, voici donc dix gestes pour sauver la planète. Mais pour la sauver vraiment, et pas seulement pour masquer le renoncement du politique face à l’avancée du néo-libéralisme.
1. Instaurer de nouveaux droits de douane et restaurer un contrôle des changes
Ce premier « geste » a un objectif très simple : mettre fin au libre-échange, qui ne représente une liberté que pour les multinationales et les investisseurs. Il s’agit de la toute première étape à envisager, puisqu’il est impensable de reconquérir du pouvoir politique sur l’économie sans casser le chantage aux délocalisations et sans empêcher les prises de contrôle plus ou moins sauvages des entreprises nationales par des investisseurs étrangers. Calculés sur la base des coûts sociaux et environnementaux de la production importée, ces droits de douane permettraient de réintroduire dans les prix les externalités tant prisées par les firmes et de couper ainsi toute envie de délocaliser aux grands groupes. Le contrôle des changes permet quant à lui d’orienter l’investissement étranger en fonction de choix collectifs, de priorités définies démocratiquement par les Etats, et non plus de laisser le marché opérer dans l’anarchie la plus complète, en fonction de ses seuls intérêts.
2. Etablir une réglementation contraignante et la faire respecter
Le fait de mettre un coup d’arrêt au libre-échangisme permet ensuite ― et seulement ensuite ― de contraindre les grandes entreprises résidentes à respecter des normes définies par la collectivité. Puisque, par l’intermédiaire des droits de douane, une concurrence réellement « non faussée » est établie, les firmes ne disposent plus de l’argument d’une concurrence internationale sauvage pour fuir leurs responsabilités. Des normes environnementales et sociales strictes peuvent être édictées, et une police efficace doit permettre de les faire respecter. Les notions de « mise en danger des équilibres environnementaux » et de « crime environnemental » doivent être inscrites dans la loi. Dans les cas les plus graves, elles pourraient donner lieu à une réquisition des entreprises par les pouvoirs publics.
3.Créer une taxe sur les activités résidentes
A l’image des taxes aux frontières, une taxe socio-environnementale doit s’imposer aux activités résidentes pour réduire au maximum les externalités. Le volet écologique du produit de la taxe sera divisé en deux : une moitié, perçue par l’Etat, sera utilisée pour financer des politiques publiques ambitieuses ; la seconde, versée sur un compte dédié de l’entreprise, servira uniquement à financer des actions de réduction de l’empreinte écologique (recherche, travaux, formation des salariés, plans de déplacement, etc.). Si les sommes bloquées pour une auto-consommation par l’entreprise ne sont pas dépensées passé un certain délais, elle sont transférées dans les caisses de la collectivité.
4.Conditionner les aides publiques
L’Etat français conditionnera l’attribution des 65 milliards d’euros annuels d’aides publiques qu’il accorde aux entreprises au respect de contraintes environnementales et sociales. Il n’y a en effet aucune raison pour que cet argent soit considéré comme un dû, et que l’attribution d’une aide se fasse sans droit de regard sur les pratiques de l’entreprise.
5. Orienter la consommation en agissant sur les prix et la fiscalité
Afin que les « gestes écologiques » (consommation bio, énergies renouvelables, voitures propres, etc.) ne soient pas réservés aux populations aisées et se diffusent largement dans la société, une administration des prix et une fiscalité incitative doivent être prévues. Les produits bio, par exemple, bénéficieront d’une TVA à taux réduit, alors que celle-ci sera majorée sur des produits de forte empreinte écologique. Dans le même temps, les marges de la distribution seront réglementées afin que les baisses de TVA se répercutent bien sur les prix. Pour des secteurs dans lesquels le nombre de producteurs est plus limité (énergies alternatives, véhicules individuels, etc.) des prix-plafond pourront être fixés directement par les pouvoirs publics. Dans le même esprit, les tarifs des transports collectifs seront fortement revus à la baisse, qu’il s’agisse du train, des réseaux de bus, de tramway ou de métro.
6. Relocaliser l’économie sur le principe d’une décroissance matérielle et d’une croissance des services publics
L’application de nouveaux tarifs douaniers n’a pas pour objectif de fermer la porte aux importations, mais bien d’éviter le dumping en provenance de pays dont les niveaux de protection sociale et environnementale sont inférieurs. Ceci étant, un telle décision permettra de relocaliser l’économie, de développer l’emploi et de réduire la pollution grâce à une baisse des besoins en transport. Cette relocalisation doit être précédée d’une réflexion sur une décroissance matérielle, qui soit une diminution de l’empreinte écologique de la production à qualité de vie équivalente ou supérieure. Cette diminution doit bien-sûr être absolue, et non relative comme le souhaiteraient ceux qui ne jurent que par l’augmentation du PIB. Concrètement, ce changement s’opérera par des progrès techniques financés par la taxe socio-environnementale sur les activités résidentes, mais aussi par l’arrêt de certaines productions inutiles ou leur remplacement par des services. Un Etat devra disposer autant que possible d’une souveraineté alimentaire et industrielle, sans laquelle il est difficile de construire des échanges équitables entre pays. Par exemple, la France devra lancer un plan ambitieux de production de protéines pour nourrir ses animaux d’élevages, alors qu’elles sont actuellement importées à près de 80% du continent américain. Les achats publics devront obligatoirement privilégier, à qualité égale, des approvisionnements locaux. Les réseaux de transport ferroviaire sur les courtes et moyennes distance seront renforcés alors que le transport routier sera évidemment concerné par la taxe socio-environnementale et verra sa compétitivité baisser en proportion des nuisances qu’il cause.
7. Sortir de l’OMC et de l’eurolibéralisme
La grande majorité des « gestes » précédents, bien qu’ils soient indispensables, sont définitivement incompatible avec les règles de l’OMC et de l’Union européenne. Il faut donc prévoir un déblocage des verrous posés par les libéraux à ces deux niveaux, qui apparaissent de plus en plus difficiles à réformer. La sortie totale de l’OMC marquera une rupture franche avec les politiques libre-échangistes qui ouvrira la voie à d’autres accords multilatéraux basés sur la coopération. Vis-à-vis de l’Union européenne, la France doit à minima dénoncer toutes les mesures libre-échangistes en vigueur et retrouver les possibilités de mener une autre politique monétaire et budgétaire.
8. Dénoncer le Protocole de Kyoto et sortir de la bourse du carbone
Avec ses objectifs dérisoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre et sa mécanique financière, le Protocole de Kyoto et ses prolongements sont au mieux une perte de temps et au pire une solution globalement nuisible. Il faut donc dénoncer cette base de travail pour permettre l’émergence de nouveaux accords multilatéraux ambitieux, qui feront appel à une régulation forte par le politique plutôt qu’à des mécanismes de marché inefficaces et pervers.
9. Créer des alliances internationales autour d’un nouveau traité
En matière de lutte contre le changement climatique, l’objectif de réduction doit suivre les recommandations de la communauté scientifique en y ajoutant une marge d’erreur compte-tenu des incertitudes qui couvrent ces prévisions. Au niveau mondial, il s’agit donc de diviser par plus de deux les rejets d’ici 2050. L’engagement des partenaires sur une contribution à cet objectif proportionnelle à leurs moyens doit précéder tout accord commercial, qui sera établi dans une logique de coopération, de mutualisation des connaissances scientifiques, de partenariats sur le développement de technologies d’intérêt général qui soient « libres de droits ». Au delà de la seule question climatique, cet accord englobera les autres thématiques environnementales (biodiversité, épuisement des ressources, accumulation de substances toxiques) et s’ajoutera à une négociation visant l’harmonisation sociale et fiscale par le haut.
10. Affecter le produit des nouveaux droits de douane au développement de projets réellement propres
Le montant de la taxe perçue aux frontières sera consacré au financement de projets socialement et écologiquement responsables, menés dans la mesure du possible dans les pays taxés. Ces projets, qui pourront donner lieu à des transferts de technologies, seront évalués conjointement, et devront favoriser les retombées locales. Ainsi, les droits de douane ne pourront être utilisés dans une logique de repli protectionniste, mais deviendront eux aussi un outil d’harmonisation vers le haut des économies nationales.
Aurélien BERNIER
source : http://abernier.vefblog.net/