Juancitucha

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Il faut mettre fin à l’accaparement mondial des terres !

« Plus de 40 millions d’hectares, dont 20 millions rien qu’en Afrique, ont changé de mains ou sont l’objet de négociations, » souligne l’ONG GRAIN, qui note l’apparition depuis juillet 2008 des « fonds de couverture, groupes de capital-risque, banques d’investissement » parmi les nouveaux acquéreurs de terres agricoles. Intervenant dans des pays où l’auto suffisance alimentaire n’est pas garantie, ces prises de contrôle vont renforcer « la tendance à la production alimentaire contrôlée par les multinationales et tournée vers l’exportation, » au détriment de l’agriculture de subsistance, a averti l’organisation, à l’occasion d’une conférence de presse commune avec Via Campesina.

Déclaration de GRAIN à la conférence de presse commune de GRAIN et Via Campesina

Rome, le 16 novembre 2009

(Voir aussi l'invitation à une conférence de presse et à une action symbolique)

Cela fait maintenant plus d’un an et demi que nous observons attentivement la façon dont les investisseurs essaient de s’emparer de terres agricoles en Asie, en Afrique et en Amérique latine, pour apporter une réponse aux crises alimentaire et financière. Au début, durant les premiers mois de 2008, les investisseurs justifiaient l’acquisition de ces terres au nom de la « sécurité alimentaire », ou du moins de l’idée qu’ils se font de la sécurité alimentaire. Des représentants des États du Golfe ont alors commencé à faire le tour du monde à la recherche de vastes étendues de terre cultivable à acquérir pour y faire pousser du riz, dans le but de nourrir leurs populations en plein essor, sans avoir recours au commerce international. Les Coréens, les Libyens, les Égyptiens et d’autres nations ont fait de même. La plupart des discussions ont impliqué directement des représentants haut placés des gouvernements, qui ont accepté des transactions de marchands de tapis pour mettre en place une coopération politique, économique et financière qui tourne autour de contrats fonciers.


Mais vers le mois de juillet 2008, la crise financière s’est aggravée et nous avons remarqué qu’à ces « accapareurs de terres motivés par la sécurité alimentaire » venait s’ajouter un nouveau groupe d’investisseurs qui tentaient d’acquérir des terres arables dans le Sud : fonds de couverture, groupes de capital-risque, banques d’investissement et autres organismes du même genre. Eux ne s’intéressaient pas du tout à la sécurité alimentaire : Ils avaient compris qu’on peut faire de l’argent en investissant dans l’agriculture, parce que la population mondiale continuant à s’accroître, les prix alimentaires risquent de rester élevés sur le long terme ; de plus, les terres agricoles sont très bon marché. En acceptant de mettre un peu de technologie et quelques compétences en gestion dans ces acquisitions de terres agricoles, ils peuvent diversifier leur portefeuille, se prémunir de l’inflation et garantir leurs bénéfices, grâce aux récoltes et à la terre elle-même.


A ce jour, plus de 40 millions d’hectares, dont 20 millions rien qu’en Afrique, ont changé de mains ou sont l’objet de négociations. D’après nos calculs, plus de 100 milliards de dollars US ont été déboursés pour en arriver là. Même si de temps à autres les gouvernements n’hésitent pas à faciliter les transactions, ce sont principalement des entreprises privées qui signent et réalisent ces accords, avec la complicité de fonctionnaires des pays hôtes. GRAIN a établi plusieurs listes révélant l’identité des accapareurs et le contenu réel des transactions. Cependant l’information est pour la plus grande part cachée au public, de peur de provoquer des réactions.


Rien dans cette course aux terres agricoles dans le Sud ne sert les intérêts des communautés locales, que ce soit au Pakistan, au Cambodge, aux Philippines, à Madagascar, au Soudan, en Éthiopie ou au Mali. Parmi ces pays, beaucoup ne jouissent pas de la sécurité alimentaire. Or l’accaparement des terres vise à faire disparaître l’agriculture paysanne, et non à l’améliorer. Ne serait-ce que pour cette raison, les mouvements sociaux ont rapidement compris que la récente razzia sur les terres ne pouvait qu’être source de graves conflits à propos des terres, mais aussi des ressources en eau.


Aujourd’hui, Rome nous offre une sorte de microcosme de ce conflit. A la FAO, les gouvernements, les agences internationales (comme la Banque mondiale) et des entreprises privées (comme Yara, Bunge et Dreyfus) sont en train de décider ce qu’ils appellent des codes de conduite ou des directives volontaires, afin de rendre les transactions « gagnant-gagnant ». Leur souci principal reste l’argent. S’ils déboursent des dollars ou des dirhams, ce n’est pas pour voir les acquisitions de terres agricoles leur échapper. C’est pour cette raison qu’ils choisissent d’apporter une réponse opportuniste : ils vont faire « marcher » tous ces accords en gérant eux-mêmes les risques inhérents. Nous savons bien pourquoi. En effet, après cinquante ans de programmes de modernisation de l’agriculture, comme la révolution verte et les biotechnologies, après trente ans de programmes d’ajustement structurel, la planète n’a jamais encore compté autant d’affamés. On le sait, tous ces programmes qui devaient soi-disant nourrir le monde ont eu l’effet inverse. Malheureusement, la Banque mondiale et autres organismes similaires ont maintenant décidé que la meilleure option était d’aller de l’avant, de suivre l’argent et d’installer partout de grandes exploitations agro-alimentaires, en particulier là où elles se sont pas encore établies, afin de résoudre le problème. C’est bien là l’essence même du nouveau paradigme de l’accaparement des terres : il s’agit d’étendre et d’installer pour de bon le modèle occidental des grandes chaînes de valeur de marchandises. En d’autres termes, la tendance est à la production alimentaire contrôlée par les multinationales et tournée vers l’exportation.


Les mouvements sociaux voient les choses de manière radicalement différente. Pour nous, cette promesse de « gagnant-gagnant » est tout simplement irréaliste. Elle implique la transparence et la bonne gouvernance, comme si des investisseurs étrangers allaient respecter le droit foncier des communautés, alors que les gouvernements locaux n’en ont cure. Elle parle d’emplois et de transferts de technologie, alors que ce n’est pas le problème (sans parler du fait qu’il y a fort peu de chance que l’un ou l’autre se matérialise). Elle s’entoure de mots comme “volontaire”, “crainte” et “peut-être”, au lieu de “garanti”, “certitude” et “réellement”. Le camp des partisans du gagnant-gagnant est lui-même divisé sur la façon dont il faudrait réagir sous la contrainte de pressions alimentaires dans les pays hôtes, un scénario pourtant très probable : Faut-il permettre aux pays de restreindre les exportations, même quand elles proviennent des fermes d’investisseurs étrangers ? Ou bien faut-il donner la précédence au présumé libre-échange et aux droits des investisseurs ? Parmi les groupes concernés auxquels nous avons parlé en Afrique ou en Asie, nul ne prend cette idée de “gagnant-gagnant” au sérieux.


L’accaparement actuel des terres agricoles dans le monde qui permet à des investisseurs étrangers de prendre le contrôle de la terre et de l’eau dans les pays en développement, n’a rien à voir avec un renforcement de l’agriculture familiale et des marchés locaux, ce qui est à nos yeux la seule manière de mettre en place des systèmes alimentaires qui soient effectivement en mesure de nourrir les populations. Il faut y mettre fin. Aucune solution gagnant-gagnant n’est possible, car les investisseurs ne posent pas la bonne question. Il ne s’agit pas de se demander : « Comment pouvons-nous faire marcher ces investissements ? », mais plutôt « Quelle agriculture et quels systèmes alimentaires sont à même de nourrir les gens sans les rendre malades, de maintenir les paysans dans les fermes plutôt que de les condamner à vivre dans des bidonvilles et de permettre aux communautés de prospérer et de se développer ? ». Il faut d’abord admettre que la véritable question est de savoir quelle agriculture nous voulons, avant de pouvoir discuter des investissements nécessaires à sa mise en place.


À GRAIN, nous sommes extrêmement inquiets de la situation. Nous pensons que l’accaparement actuel des terres ne peut qu’aggraver encore la crise alimentaire. Il favorise un système agricole tourné vers les monocultures à large échelle, les OGM , le remplacement des paysans par des machines, et l’usage de produits chimiques et d’énergies fossiles. Ce système ne peut pas nourrir tout le monde. C’est une agriculture qui, par la spéculation, nourrit les bénéfices de quelques-uns et accroît la pauvreté des autres. Certes, les investissements sont nécessaires. Mais ce qu’il faut, c’est investir dans la souveraineté alimentaire, dans d’innombrables marchés locaux et dans les quatre milliards de ruraux qui produisent l’essentiel de la nourriture qui permet à nos sociétés de vivre, et non pas dans des méga-fermes aux mains de quelques méga-propriétaires.



Lectures complimentaires

http://farmlandgrab.org

http://www.grain.org/landgrab/

People's Food Sovereignty Forum, Rome 13-17 novembre 2009 - video

Déclaration du forum des mouvements sociaux, ONG et organisations de la société civile en parallèle au Sommet de la FAO sur la sécurité alimentaire Rome, 13-17 novembre 2009

http://peoplesforum2009.foodsovereignty.org/

http://www.flickr.com/photos/faonews/sets/72157622802268128/

http://www.fao.org/wsfs/world-summit/fr/



16/12/2009
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