Le Sucre contre le FMI
On se souvient que, pour parer à la
grande crise financière de 1997, partie de l’Asie orientale, le Japon avait
proposé de créer un Fonds monétaire asiatique qui, en injectant des liquidités
dans les circuits financiers des pays affectés, aurait permis de limiter
l’ampleur du « tsunami » et d’éviter sa propagation à
Ce que Tokyo ne put à l’époque réaliser,
un petit groupe de pays est en train de le faire en Amérique latine, et en
allant même beaucoup plus loin : réunis à Caracas le 26 novembre, les
dirigeants des six pays (1) membres de l’Alternative bolivarienne pour
les peuples de notre Amérique (Alba), rejoints par l’Equateur, ont non
seulement décidé de créer un Fonds de stabilisation et de réserve qui les
protègera collectivement (2), mais aussi, pour toutes les transactions
commerciales, tant intra-zone que hors-zone, de se doter d’une unité de compte
commune assortie d’une chambre de compensation de paiements. Cette unité de
compte et cette chambre porteront le nom de Système unitaire de compensation
régionale ou Sucre (3).
On reconnaîtra dans ce dispositif aussi
bien les mécanismes de l’Union européenne des paiements qui, de 1950 à 1958,
assura une stabilité complète des changes entre ses 18 pays membres, que ceux
du Système monétaire européen et de son élément central : l’ECU (European
Currency Unit), ancêtre de l’euro. Comme l’ECU, le Sucre sera seulement, du
moins dans l’immédiat, une unité de compte et de valeur. Pas une monnaie avec
son institut d’émission et ses pièces ou billets.
Cette initiative, qui devrait se
concrétiser au début 2009, est une très grosse pierre dans le jardin du FMI. La
déclaration finale de la réunion de Caracas critique en effet vertement « un
système financier international qui a promu la libre circulation des capitaux
et la domination de la logique de la spéculation financière au détriment de la
satisfaction des besoins des peuples ». Sans être nommément désigné, le G20
n’est pas épargné : les signataires dénoncent « l’absence de propositions
crédibles et vigoureuses pour faire face aux effets dévastateurs de la crise financière
».
La création du Sucre s’inscrit dans une
logique géopolitique : mettre fin à l’hégémonie du FMI — dont le président
vénézuélien Hugo Chávez demande même la dissolution — et donc des Etats-Unis et
du billet vert, pour aller vers un monde multipolaire. La déclaration fait état
de « la ferme conviction que l’espace régional est l’espace privilégié pour
donner des réponses immédiates et effectives » à la crise, en vue de créer un «
espace libéré des inefficaces institutions financières globales et du monopole
du dollar comme monnaie de change et de réserve » et « pour avancer vers la
création d’une monnaie commune, le Sucre ».
Le Sucre ne pose aucun problème de
financement : à lui seul, le Venezuela dispose de réserves de change de 100
milliards de dollars. Par ailleurs, sa simple existence aura un effet dissuasif
sur la spéculation. Le Système est ouvert à tous les pays de l’hémisphère et,
après une nouvelle réunion de ses membres, le 14 décembre, à Caracas, il sera
présenté au Sommet latino-américain et caraïbe prévu à Salvador (Brésil) le 16
décembre. Présenté, mais pas négocié, pour éviter le sort de
Lors de la visite du président russe
Dmitri Medvedev à Caracas le 27 novembre, au lendemain de la réunion Alba
élargie à l’Equateur, l’éventualité de l’entrée de
Bernard Cassen
(1)
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