Terre des Hommes et la "justice restaurative"
Lima, Pérou
Avec son physique de
boxeur et ses cicatrices, Elmo n'est pas nécessairement quelqu'un qu'on a envie
de rencontrer un soir dans les rues du Callao, le grand port de Lima. Et
pourtant, cet homme de quarante ans, avec ses bagues en acier et ses pendentifs
est un des éléments-clés de la pacification des quartiers chauds de la capitale
péruvienne.
Elmo a
passé une partie de sa vie en prison. Il a été mêlé très jeune à tout ce que
des membres de pandilla (gangs) font en Amérique latine: depuis les
petits larcins jusqu'aux grands casses avec même des opérations dans les pays
voisins. Mais maintenant lorsqu'il se retrouve en prison, c'est pour rencontrer
et aider de jeunes détenus. Et quand il arpente les rues des quartiers de Ramon
Castilla ou Loreto, c'est comme éducateur: "C'est très facile d'entrer en
prison, nous dit-il, les portes s'ouvrent toutes seules, mais c'est autre chose
d'en sortir."
Au
bord d'un terrain de football poussiéreux, il nous présente Bryan. Un peu le
même style en plus jeune. Casquette de base-ball blanche vissée sur la tête, il
nous résume sa vie à grands gestes et parle sur un rythme de rap: "J'ai
été emprisonné cinq fois, même pour homicide mais depuis que j'ai un enfant, je
ne veux pas que mon fils ait honte de son père." Du coup il anime des
associations de jeunes qu'il essaie tant bien que mal de pousser vers l'étude
et le sport.
Rivalité sanglante
La violence qui secoue les banlieues de Lima et Callao, n'est pas seulement
causée par la criminalité ou le contrôle du marché de la drogue. Une délirante
rivalité entre bandes laisse régulièrement des garçons sur le carreau, une
balle dans la peau... pour l'honneur. De nombreux jeunes sont issus de
communautés andines dont les parents sont "descendus" dans la capitale.
La perte des repères est totale: culture, langue quechua, activité agricole et
même climat, tout est rompu. A cela s'ajoute le mal endémique dont souffrent
tant de pays latino-américains, une sexualité précoce et irresponsable qui
laisse enceintes et abandonnées des myriades d'adolescente de 15 à 16 ans.
Seules et rejetées du reste de la famille, ces filles, devenues mères trop
vite, ne font que perpétuer d'une génération à l'autre (tous les quinze ans...)
un modèle voué à la violence et à l'échec.
Pour tenter de casser ce cercle vicieux,
l'association Encuentros, soutenue par la Fondation Terre des Hommes, est parvenue à se faire accepter par les autorités judiciaires locales
dans le quartier de El Agustino à Lima. Raúl, Alexis et les autres membres de
l'équipe sont de garde 24 h sur 24. Dès qu'un mineur est appréhendé, ils sont
appelés à la rescousse. Psychologue, juriste et asistant social prennent le
mineur à part et lui expliquent posément qu'il a fait une grosse bêtise. Dans
le commisssariat central de El Agustino, une pièce et une cellule spéciales ont
été créées pour séparer le mineur délinquant des autres détenus.
Un
marché est alors proposé. Si le jeune accepte de reconnaître son erreur, de
dédommager par un travail sa victime et de lui présenter des excuses, il ne
sera pas envoyé au centre de détention des mineurs. Il faut ensuite convaincre
la victime de jouer le jeu, ce qui n'est pas trop difficile lorsqu'il s'agit de
petits larcins sans violence.
Un cimetière de rêves
Le commissaire de El Agustino était au début sceptique et comme beaucoup de
monde dans les forces de l'ordre et la justice péruviennes plutôt enclin à une
sévérité héritée des années de guerre avec la guérilla du Sentier Lumineux. Mais
le commandant Daniel Llaury Linares a finalement été conquis. Cet équivalent
local du gendarme de St Tropez est maintenant un des plus fervents supporters
de cette méthode dite de "justice restaurative": "Il faut bénir
Terre des Hommes pour ce programme. Cela ne devrait d'ailleurs pas être une
exception. Finalement nous ne faisons qu'appliquer la loi péruvienne sur les
délits des mineurs,explique-t-il." Et dans la nuit du quartier de Loreto,
étrangement vide, des hommes et des femmes s'efforcent de mettre un peu
d'humanité dans ce que l'un d'entre eux, Juan Montejo Laurent, appelle "un
cimetière de rêves".
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