Juancitucha

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Pérou, Un pays riche de ressources naturelles

Cette stratégie de développement axée sur l'ouverture ne va pas sans susciter des conflits, notamment lorsqu'elle passe par l'exploitation de la région amazonienne, convoitée pour ses ressources naturelles. Ainsi, à Huampani, près de la frontière équatorienne, un groupe d'indigènes a pris en otage le 15 janvier quatre employés (libérés sains et saufs au bout de six jours) de la société Afrodita, une compagnie minière péruvienne qui détient une concession d'exploitation dans cette région et dont les ouvriers avaient commencé à défricher le terrain à la recherche d'or. En 2006 déjà, Afrodita avait été mise en cause par les communautés indigènes pour contamination des ressources naturelles et mise en péril de leur habitat. Des autochtones avaient alors décidé de faire pression sur le gouvernement. « Ils considèrent que c'est une région qui existait avant que le Pérou ait été créé et qui appartient aux Awajún et aux Wampis, les peuples qui historiquement ont vécu à cet endroit et auxquels le gouvernement, loin de les soutenir, envoie des gens pour envahir leurs terres », explique Nicanor Alvarado, vicaire de Jaén engagé dans la défense des droits des peuples amazoniens.


Le récent épisode de Huampani fait écho aux violentes manifestations et grèves de l'été 2008, lorsque l'Association interethnique pour le développement de la forêt péruvienne (Aidesep) a appelé à protester contre une série de décrets que le gouvernement venait d'adopter. Elle reprochait à l'exécutif de faciliter l'acquisition et l'exploitation des terres indigènes. Désavoué par le Congrès, le gouvernement s'était vu obligé de retirer les décrets – pourtant nécessaires pour que l'ALE puisse entrer en vigueur.


Les mêmes tensions se manifestent au plan international. Les Etats-Unis sont le principal promoteur des traités de libre-échange à l'échelle du continent. L'ambition initiale de Washington était de créer une zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), sorte d'extension de l'Alena (1) à toute l'Amérique latine. Mais l'initiative n'a pas survécu à la série d'élections de 2006 et 2007 qui ont vu la plupart des pays latino-américains « virer à gauche », selon une formule excessive mais reprise à l'envi par les médias. Ces élections témoignaient d'une volonté d'explorer d'autres voies de développement que l'orthodoxie libérale prônée par le Fonds monétaire international et d'autres organisations internationales, particulièrement décrédibilisée depuis la crise argentine de 2001-2002. Dans ce nouveau contexte politique, les Etats-Unis ont opté pour la négociation progressive de traités bilatéraux (combinés à des accords multilatéraux comme l'Accord de libre-échange d'Amérique centrale).


La stratégie de Washington a suscité nombre d'oppositions, illustrées le plus clairement par le projet d'une Alternative bolivarienne pour les Amériques (Alba), dont l'accord fondateur a été signé en 2004 entre le Venezuela et Cuba. Depuis, cette organisation a été rejointe par la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique et le Honduras. C'est aussi dans ces pays que les critiques des ALE sont les plus virulentes. Ainsi, la Bolivie a menacé de porter plainte contre Lima auprès de la Communauté andine des nations (comprenant la Bolivie, la Colombie, l'Equateur et le Pérou) pour avoir violé les accords régionaux en prenant unilatéralement l'initiative d'un traité avec l'Union européenne. Fin janvier, Evo Morales a réaffirmé son opposition à la stratégie péruvienne : « Nous n'acceptons pas ces mécanismes, a-t-il déclaré devant le Congrès en référence aux accords de libre-échange, qui plus que le commerce visent à acheter les nations. (...) Dans leur acharnement hégémonique, [les pays riches] forcent les Etats à adopter des lois et à privatiser leurs ressources. C'est l'histoire du requin qui mange la sardine. »


L'opposition n'est pourtant pas aussi frontale que l'on pourrait penser. Non seulement la Bolivie n'a pas mis à exécution sa menace de plainte, mais elle cherche prudemment à reconstruire ses liens avec les Etats-Unis. Quant à l'Equateur, il négocie un accord de partenariat avec l'Union européenne. Inversement, les opposants à l'ALEne soutiennent pas en chœur le projet alternatif. Au Pérou, le candidat malheureux à la présidentielle de 2006, Ollanta Humala, ex-militaire devenu leader fondateur du Parti nationaliste (assimilé à la gauche radicale et proche du mouvement indigène), a pris ses distances avec le « chavisme », sans pour autant atténuer sa critique des accords commerciaux.


Dans le débat péruvien sur le libre-échange se manifeste souvent la crainte de voir disparaître des secteurs entiers de l'économie, incapables de résister à la concurrence des produits importés. Ces craintes se doublent d'une suspicion légitime liée aux subventions à l'exportation souvent pratiquées par les Etats-Unis. Mais elles révèlent aussi un certain conservatisme, aveugle à ce que l'économiste autrichien Joseph Schumpeter appelait la « destruction créatrice » : le progrès technique suppose la destruction de secteurs d'activité en même temps que la création de nouveaux secteurs et de nouvelles activités économiques.


Le vrai sujet de discorde réside ailleurs, dans la peur de voir privatisées les ressources naturelles de l'Amazonie péruvienne. Il ne s'agit pas d'une appropriation des terres ni des espèces, toutes deux protégées dans le texte de l'ALE, mais des ambiguïtés du droit de propriété intellectuelle que le Pérou a dû intégrer dans sa législation. L'accord autorise en effet le brevetage dès lors qu'il s'agit de la découverte d'une composante biologique jusqu'ici inconnue. Par exemple d'un gène permettant à une plante de résister aux basses températures. Une entreprise des Etats-Unis qui parviendrait à isoler ce gène pourra donc le breveter, ainsi que le résultat de manipulations biologiques sur ces éléments prélevés dans la biodiversité amazonienne. Cette disposition ouvre la possibilité de breveter le vivant sans autorisation préalable, alors que jusque-là, sans certificat de l'Etat péruvien, le brevet était annulé.


Comme l'observent les critiques, le décalage technologique et scientifique entre le Pérou et les Etats-Unis rend cette législation nettement défavorable à la partie péruvienne, qui possède la richesse naturelle mais manque de moyens pour faire de la recherche. Le gouvernement répond en incitant les chercheurs péruviens à déposer massivement des brevets, sans pour autant leur offrir des moyens de le faire... De même, dans le cas de conflits juridiques pour les ressources naturelles, les entreprises péruviennes auront moins de moyens pour mener des procès longs et coûteux.


Cet enjeu en cache un autre, d'ordre culturel : la logique libé­rale globalisée que porte l'ALE risque d'éradiquer la culture et l'organisation sociale des populations autochtones, liées ancestralement aux territoires où se trouvent les forêts et les hydrocarbures. Leur insertion dans une économie d'échelle planétaire se fait à marche forcée : en amont, les populations indigènes ne font pas l'objet d'une réelle consultation dans le processus de négociation et de mise en place des ALE ; en aval, elles ne sont pas dotées des outils pour défendre leurs intérêts selon les nouvelles règles du jeu économique. Il s'agit ainsi, hors de toute échelle des valeurs entre les diffé­rentes sociétés, de comprendre la spécificité de pratiques indigènes qui, par exemple, relèguent au second plan le régime de propriété privée pour mettre en avant l'autorité collective et la coutume comme sources de légitimité. Selon l'anthropologue Richard Chase Smith, directeur de l'Institut du Bien Commun, cela nous amène à considérer « l'importance d'approfondir la recherche sur le fonctionnement de la propriété commune dans le contexte de l'économie de marché, afin de pouvoir offrir en même temps des alternatives pour la protection des biens communs et la possibilité d'un développement économique. »


Le Pérou, pays dit « andin » mais dont près de 60 % du territoire est en Amazonie, se trouve ainsi en première ligne du combat pour la préservation de la diversité biologique et culturelle. Les critiques de l'exploitation des ressources naturelles dénoncent une double colonisation : de l'écosystème et des communautés indigènes, forcées à se déplacer et à s'adapter sous peine de disparaître. Les partisans des accords commerciaux, eux, insistent sur les chances de développement du pays ainsi que sur la stabilisation des règles du jeu économique qui permettra une intégration harmonisée à l'économie mondiale. Mais les conflits récents révèlent aussi la réalité d'un partage de plus en plus inégal des richesses : malgré la forte croissance de l'économie péruvienne – de l'ordre de 9 % ces dernières années, la plus élevée en Amérique du Sud – les inégalités sociales se sont accrues. Le rapport du Programme des Nations unies pour l'environnement constate, pour l'ensemble de l'Amazonie, que « la richesse tirée de l'exploitation des ressources naturelles n'est pas (...) réinvestie sur place ». Un défi à relever pour le gouvernement, s'il veut gagner la confiance pour sa politique de libre-échange.


Thomas Mouries

 

Alternatives Internationales -  n°42 - Mars 2009

Notes



(1) Accord de libre-échange nord-américain qui lie depuis 1994 le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.



17/09/2009
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