ANALYSE Les stérilisations forcées au Pérou sous la présidence d’Alberto Fujimori un crime contre l'humanité ignoré
Par Multipol le vendredi 29 janvier 2010, 00:09 - Droits de l'Homme / Droit humanitaire - Lien permanent
Brian
MENELET
Le 5 avril 1992, Alberto Fujimori, alors Président de la République du
Pérou, dissout le Congrès péruvien et entame des réformes lui permettant de
mettre au pas le pouvoir judiciaire, dirigeant ainsi le Pérou vers un régime
teinté d’autoritarisme. Malgré ce bouleversement politique, parfois qualifié de
« Fujichoc », Alberto Fujimori est réélu en 1995 avec une très large
majorité (64% des voix), s’appuyant notamment sur sa victoire contre le
terrorisme animé par le Sentier lumineux.
C’est dès le début de ce second mandat qu’il commence à prendre des
décisions radicales sur ce sujet qu’est le contrôle de la natalité. Le calcul
d’Alberto Fujimori serait simple : pour réduire la pauvreté, il faut
réduire le nombre de naissances par femme, surtout des plus pauvres. C’est là
la base de la politique dite AQV (1) lancée par Alberto Fujimori le 9 septembre
1995 devant le Congrès péruvien par le dépôt d’un projet de loi modifiant la
« Loi de politique nationale sur la population » (2). Dans le texte
de loi, adopté par le Congrès le 10 novembre 1995, la stérilisation est conçue
comme un moyen de réguler l’augmentation de la population péruvienne au même
titre que l’usage de la pilule contraceptive, la pose d’un stérilet ou même
l’usage du préservatif (3). Quant au caractère volontaire des personnes se
soumettant aux objectifs de cette loi de planification familiale, l’article VI
de la loi de 1985, non modifié, prévoyait l’incitation et la récompense
matérielle des personnes limitant, par ces moyens, le nombre d’enfants dans
leur foyer. Pour autant, si l’incitation financière peut être vue comme
altérant le libre consentement de foyers particulièrement pauvres, on ne peut
pas réellement parler de « violence » à l’encontre de ces personnes.
En revanche, le rapport final commandé par le Ministère de la Santé, rendu
par les enquêteurs mandatés par ce dernier le 23 juillet 2002, fait état de
215.227 ligatures des trompes et 16.547 vasectomies forcées entre 1996 et 2000
(4), c’est-à-dire durant la présidence de Fujimori depuis l’adoption de son
projet de loi du 10 novembre 1995 (5). Ces cas de stérilisations forcées
visèrent essentiellement les populations indiennes les plus pauvres, presque
toutes basées dans la sierra andine, la selva amazonienne et les bidonvilles
entourant Lima, laissant présumer des tendances eugénistes anti-indiennes et
anti-pauvres du programme lancé par Fujimori. La question qui se pose alors est
de savoir quels furent les ressorts internes de la politique de Fujimori ayant
favorisé cette politique ou ayant échoué à la remettre en cause (I). De même,
se pose la question du rôle des intervenants extérieurs, notamment des
institutions internationales, dans la politique de stérilisations forcées menée
par le gouvernement de Fujimori (II).
I. LES RESSORTS INTERNES AYANT FAVORISÉ LA POLITIQUE DE STÉRILISATIONS
FORCÉES ET DISCRIMINATOIRES MISE EN PLACE PAR FUJIMORI
Pour bien comprendre comment un projet, présenté comme une politique de
santé publique, a pu aboutir à la stérilisation forcée de dizaines de milliers
de péruviens et de péruviennes durant la présidence de Fujimori - sans
opposition apparente - il faut connaître le contexte dans lequel cette
politique a vu le jour (A). Malgré les éléments qui ont permis, globalement, un
bon accueil d'une politique que d'aucuns qualifieront, plus tard, de génocide,
la population et les institutions péruviennes n'ont cependant pas toutes validé
cette politique et ont tenté, parfois vigoureusement, de s'y opposer (B).
A. Les circonstances favorables à une politique de stérilisations forcées
La politique de stérilisations forcées et discriminatoires établie et mise
en oeuvre par le Gouvernement péruvien à l'initiative du Président Fujimori
s'inscrit dans un contexte continental de transition démographique (1),
renforcée par le contexte interne spécifique au Pérou (2).
1. Le Pérou, un pays intégré aux stratégies continentales de maîtrise de la
fécondité
Du fait de programmes de santé publique assez développés, la médecine
moderne et l'hygiène ayant été au cœur des politiques gouvernementales dans
toute l'Amérique Latine, on constate une baisse générale de la mortalité
infantile à partir des années 1930. Suite à cette baisse de la mortalité, la
grande majorité des pays d'Amérique Latine ont connu une transition
démographique en deux étapes. Jusqu'à la première transition démographique des
années 1965, le taux de fécondité était élevé, comparable à celui de l'Europe
de l'Ancien Régime, à savoir de l'ordre de 6 à 7,5 enfants par femme en âge de
procréer. Cette forte natalité a perduré jusque dans les années 1965 et
entraîna, conjuguée à la chute de la mortalité infantile depuis les années
1930, et ce dans toutes les couches sociales, une forte augmentation de la
population de 1940 à 1965.
La première transition démographique concerna essentiellement les
populations urbaines et socialement favorisées. Le fort exode rural avait déjà
légèrement fait baissé le taux global de fécondité, les femmes urbaines ayant
en moyenne 2 enfants de moins que les femmes rurales. A partir des années 1965,
légal ou non, l'avortement a influé de façon significative la fécondité urbaine
dans tous les pays. La stérilisation, plus radicale, devenait courante dans
certains pays d'Amérique centrale. Pour autant, les pratiques de limitation des
naissances n'étaient pas connues dans les zones rurales et donc très peu
pratiquées. En vingt ans, la plupart des pays d'Amérique latine avaient entamé
une transition significative vers une fécondité maîtrisée, même si le Pérou connut
un retard de 5 à 10 ans par rapport à ses voisins et si la Bolivie, le
Guatemala et le Honduras conservaient des taux de fécondité supérieurs à 6
enfants par femme en âge de procréer.
Cette première transition démographique n'a pas été le fait des Etats mais
essentiellement celui des femmes urbaines et scolarisées, en partie par l'usage
de méthodes de contrôle de la natalité, en partie par le recul du mariage.
Toutefois, la baisse du taux de fécondité dans les campagnes doit
essentiellement à la diffusion des méthodes de contrôle des naissances comme la
contraception et l'avortement intégré dans l'offre de planification familiale.
C'est au début des années 1990 que les milieux ruraux et les milieux les plus
défavorisés (souvent les mêmes) ont vu leur taux de fécondité réellement
baisser. La planification familiale organisée par les Etats a été l'un des
éléments clés de cette évolution en faisant de ces populations la cible
privilégiée de ces politiques publiques. Elle est passée par une offre
abondante des moyens de contraception, la plupart subventionnés jusqu'à la
gratuité, surtout les plus radicaux (stérilisation). Le Pérou, notamment à
cause du poids de l'Eglise, utilisait encore à cette époque des méthodes plus
ou moins efficaces en la matière : 36% des femmes basaient leur
« contraception » sur leur cycle menstruel. Dans l'ensemble de
l'Amérique latine, la stérilisation reste le moyen de contraception principal,
voire exclusif, proposé à bas prix ou gratuitement par les programmes de planification
familiale à destination des plus pauvres. L'information sur le caractère
définitif de ce type de contraception est généralement minimal, voire absent.
C'est dans ce contexte régional, et en tenant compte du retard pris par le
Pérou dans sa transition démographique, qu'intervient le programme de
planification familial du Président Fujimori. Toutefois, le caractère forcé des
centaines de milliers de stérilisations qui se sont opérées dans ce pays
n'aurait sans doute pas pu se réaliser en totale impunité sans le contexte
spécifique de la Présidence de Fujimori.
2. Les circonstances propres au Pérou favorisant la politique de contrôle
de la natalité de Fujimori
Ces circonstances tiennent tout autant à la légitimité populaire de
Fujimori au moment de la mise en place de cette politique qu'au type de
population visée par celle-là.
Malgré une profonde mise à mal des bases démocratiques du régime péruvien
par la réforme constitutionnelle du 5 avril 1992, le Président Fujimori est
réélu avec 64% des voix aux élections présidentielles de 1995. Cette victoire
électorale tient essentiellement à deux facteurs. D'une part, la priorité
donnée par Fujimori à la lutte musclée contre le Sentier lumineux a porté ses
fruits, notamment par l'arrestation de son leader Abimaël Guzmán (ce qui lui
vaut notamment le soutien des Etats-Unis malgré le quasi-coup d'Etat de 1992).
D'autre part, les réformes économiques engagées par le Gouvernement de
Fujimori, en accord avec les directives du FMI ont porté leurs fruits :
par le biais d’une grande vague de privatisations (6), Fujimori et son équipe
amènent une croissance économique à deux chiffres (7).
De ce fait, le Pérou commence à apparaître sur la scène internationale
comme potentiellement émergeant, alors que sa transition démographique est en
retard, en particulier en milieu rural et dans les milieux les plus pauvres
(favelas de Lima notamment).
Lorsque Fujimori lance son projet de loi modifiant la « Loi de
politique nationale sur la population », la couche moyenne voit d'un œil
bienveillant l'ouverture des moyens de contraception aux couches les plus
défavorisées pour enrayer une natalité prolifique considérée comme un obstacle
au développement.
De plus, la loi modificatrice adoptée par le Congrès le 10 novembre 1995
présentait la stérilisation comme un moyen de réguler l’augmentation de la
population péruvienne au même titre que l’usage de la pilule contraceptive, la
pose d’un stérilet ou même l’usage du préservatif. Enfin, l’article VI de la
loi de 1985, qui prévoyait l’incitation et la récompense matérielle des
personnes limitant, par ces moyens, le nombre d’enfants dans leur foyer, était
maintenue. Ainsi, la population péruvienne pouvait voir dans ces mesures une
réforme accompagnant les plus pauvres vers un modèle familial considéré comme
moderne et favorable au développement du pays.
Reste que les stérilisations forcées ont été pratiquées sur plusieurs
centaines de milliers de personnes et ne pouvaient réellement être ignorées. A
moins que la couche moyenne ne s'en désintéresse totalement. Les populations
visées étaient essentiellement les villageoises des campagnes et les jeunes
femmes des bidonvilles. Des populations de peu d'intérêts pour une classe
moyenne à forte prédominance urbaine ou le chacun pour soi était déjà de mise.
Pire, dans les campagnes, la politique de stérilisations forcées visaient
presque exclusivement les indiennes Quechua (8), opérant un véritable nettoyage
ethnique, épargnant les femmes blanches et métisses qui maîtrisaient déjà leur
fécondité et pouvaient assumer économiquement leur progéniture. Les choses se
passèrent loin des médias et des populations éduquées et la corruption
maintient une chape de plomb sur les quelques plaintes déposées (9).
On peut alors s'interroger sur les mouvements de résistance à cette politique
discriminatoire et parfois violente.
B. Les tentatives - avortées - d'opposition à la politique des
stérilisations forcées
L'une des rares institutions du pays à s'opposer frontalement aux
stérilisations forcées, mais qui par nature s'oppose en général à tout moyen
contraceptif, fut bien évidemment l'Eglise catholique. Pourtant, l'opposition
aux plus hauts niveaux de sa hiérarchie dans le pays échoua à provoquer un
quelconque mouvement d'opposition réel, et ce pour deux raisons. D'une part,
l'Opus Dei a été suspecté de pousser les autorités ecclésiastiques locales à
prendre officiellement cette position. Or, la réputation sulfureusement
rétrograde de cette institution a plutôt desservi le discours catholique et ses
rapports avec le pouvoir politique. D'autre part, en réaction à la position
catholique, les associations de féministes ont soutenu avec une certaine
vigueur le programme du Président Fujimori en estimant que lui seul permettait
aux femmes péruviennes de toutes les catégories sociales de choisir leur
fécondité. Il semble que même lorsque les premières stérilisations forcées ont
été dénoncées, ces associations ont maintenu leur position tout en dénonçant
les abus (10).
En parallèle à cette dénonciation institutionnelle, d'autres mouvements de
la société civile ont manifesté leur opposition, voire ont fait acte de
résistance.
C'est le cas d'un certain nombre de maires de communes rurales, tels que
Rosas Beltrán, maire d'Anta et dirigeant le Réseau de municipalités rurales du
Pérou (Remurpe) (11) en partenariat avec la Defensoría del pueblo de Cuzco,
qui a organisé une résistance, un peu tardive, aux campagnes de stérilisations
orchestrées par les pouvoirs publics sans consentement des patientes (ne
parlant le plus souvent que le quechua et attirées par l'opportunité d'une
récompense et d'un allègement du nombre d'enfants à venir). C'est aussi
l'exemple du maire de la commune d'Arequipa, porteur d'une longue tradition de
luttes sociales, qui mêla les luttes contre les privatisations et le contrôle
sauvage des naissances par les stérilisations forcées.
Des médecins aussi, pierre angulaire de la politique du Président Fujimori,
ont parfois tenté de résister. Ramón Figueroa, chirurgien et directeur de
l'hôpital régional de Cuzco en 1995 a, dès le départ du programme de
planification familiale en 1996, dénoncé, à travers la Fédération des médecins,
les campagnes de stérilisations forcées en insistant notamment sur leur
caractère raciste. Il dénonça aussi les menaces et la corruption dont firent
usage les pouvoirs publics de l'époque. La résistance locale a donc existé
mais, face à un gouvernement décrit comme autoritaire et répressif, elle fut
inefficace.
Quant au principal bailleur de fonds appuyant cette campagne de
stérilisations massives et forcées, l'USaid, il y eut bien dénonciations et
sanctions apparentes. Elles furent cependant détournées jusqu'à la fin du
programme.
A la décharge de l'USaid, il faut dire que les principaux bailleurs de
fonds internationaux du Pérou donnèrent en cœur leur bénédiction au vaste
programme de planification familiale mis en oeuvre par le gouvernement de
Fujimori, légitimant ainsi, si ce n'est la méthode, les choix du leader
péruvien en direction des paysans et des populations les plus pauvres de son
pays.
II. LES MANIPULATIONS DU PRÉSIDENT FUJIMORI POUR MASQUER LA RÉALITÉ DE SON
PROGRAMME DE CONTRÔLE DES NAISSANCES
Ces manipulations furent plus ou moins importantes selon le niveau
d'exigence de ses interlocuteurs et selon que Fujimori les ait destinées à ses
citoyens (A) ou aux partenaires internationaux impliqués dans les objectifs de
développement, notamment par la maîtrise des naissances (B).
A. Des manipulations à usage interne
Lorsque le Président Fujimori lança son programme de planification
familiale, tant dans la rédaction du projet de loi modifiant la « Loi de
politique nationale sur la population », que dans la presse, il présenta cette
réforme comme un élément nécessaire pour accompagner la série de mesures
économiques permettant de faire du Pérou un pays émergeant. Il considérait, en
effet, que « les femmes péruviennes doivent être maîtresses de leur
destin » (12). Dans ce sens, il est soutenu par les associations
féministes péruviennes qui dénoncent comme rétrogrades les positions de
l'Eglise catholique s'opposant à l'avortement et à la stérilisation. Ce soutien
des associations féministes n'est d'ailleurs pas gratuit : on estime que
l'ONG péruvienne Reprosalud Manuela Ramos, principal soutien de Fujimori dans
sa politique de contrôle des naissances, aurait touché 36 millions de dollars
US de la part de l'USaid entre 1995 et 2000, autre soutien, financier cette
fois, du Président Fujimori (13).
Quant à la population cible de ces campagnes de stérilisation, voici
comment leur « consentement » fut recueilli et dans quelles
conditions on obtint leur silence : les médecins et infirmières
organisaient une journée de jeux et de fête, distribuaient de la nourriture,
mettaient en avant le terme définitif du nombre d'enfants dans la famille en
présentant des plaquettes grossières décrivant l'opération (essentiellement la
ligature des trompes), le tout en espagnol à des femmes essentiellement de
langue quechua. Le tout visait à convaincre, par l'incitation ou la honte
(elles étaient accusées d'accroître la pauvreté de leur famille), à passer dans
les mains du chirurgien (14). Les soins post-opératoires étaient minimalistes
et aucune recommandation n'était faite à ces paysannes travaillant la terre
quant au délai de repos nécessaire. En conséquence, la plupart des péruviennes
rurales acceptèrent l'opération et reprirent le travail aux champs dans les
jours qui suivirent. Elles souffrirent alors d'hémorragies internes ou de
douleurs post-opératoires non prises en compte.
Lorsque certaines de ces femmes se plaignirent aux autorités et,
accompagnées d'associations, tentèrent de porter plainte en justice, les
pressions et menaces pour qu'elles reviennent sur leur décision se firent
pressantes.
Quant aux médecins pratiquant les ligatures des trompes et les vasectomies,
la plupart agirent soit pour des motivations financières, soit par crainte de
représailles.
Ainsi, malgré le nombre impressionnant de ligatures des trompes rarement
consenties et les vasectomies obtenues à l'arrachée, on constate peu de
plaintes durant la mise en oeuvre de cette politique de contrôle des naissances
à la fois barbare et raciste, donc peu de raison pour la couche moyenne et
urbaine de s'émouvoir...
Pour autant, quelques rapports d'experts internationaux ont permis, durant
la mise en oeuvre de ce programme national, la dénonciation du système
Fujimori. Pour autant, les institutions internationales, souvent bailleurs de
fonds du Pérou, n'ont pas réagit. On est alors amené à se demander pourquoi.
B. La cécité coupable des partenaires internationaux face à la politique de
contrôle des naissances du Président Fujimori
Les bons résultats économiques du gouvernement de Fujimori, ainsi que ses
décisions en faveur de la libéralisation poussée de l'économie péruvienne,
notamment au travers des privatisations de grands pans de la société, ont
évidemment eu la faveur d'institutions internationales telles que le FMI. Par
ailleurs, ces dispositions ont eu un effet rassurant pour les Etats-Unis qui se
félicitaient de la stabilité que le Président péruvien apportait à son pays
(15), sans compter que Fujimori apparaissait, à leurs yeux et à ceux de la
communauté internationale, comme le grand vainqueur du mouvement maoïste, quel
qu'en soit le prix (16).
Lorsqu'il fit adopter son projet de loi de réforme de la « Loi de politique
nationale sur la population », dont le but était de réduire le taux de
fécondité péruvien considéré comme un handicap pour la modernisation de
l'économie péruvienne, FMI et Etats-Unis, à travers leur agence USaid,
applaudirent des deux mains et financèrent les campagnes de promotion des
outils de contraception dont la stérilisation volontaire faisait officiellement
partie (18), l'OMS et l'OPS (Organisation Panaméricaine de la Santé) validant
elles-mêmes les modalités choisies (19).
La question qui se pose alors est de savoir dans quelle mesure ces
instances internationales ont eu connaissance ou non du caractère forcé,
c'est-à-dire non pleinement consenti, de stérilisations massives auxquelles ce
programme donna lieu.
Concernant l'OMS et l'OPS, il est coutumier pour ces institutions de se
contenter de données officielles et d'expertises relatives (la déclaration de
« pandémie » après seulement 800 morts à l'échelle de la planète
concernant la grippe A H1N1 semble le confirmer). En revanche, la question est
plus pertinente pour l'USaid, surtout après la publication du rapport de
l'enquête menée dès 1998 par le Population Research Institut dont le
Congrès américain s'est saisi et après la décision de ce dernier de
conditionner strictement le versement de cette aide au respect des droits
humains (20). Il semble peut-être simpliste de considérer que l'accord
militaire Etats-Unis-Pérou concernant la lutte contre la production et le
trafic de la coca, relevant des attributions présidentielles aux Etats-Unis, ait
primé sur le respect des droits humains comme condition de l'aide versée par
l'USaid visiblement aux ordres, mais les faits sont là.
A
la suite de l'alternance politique de mai 2000, Alberto Fujimori, qui
avait fui le pays en novembre 2000 à destination du Japon dont
il avait aussi
la nationalité, a été destitué à
l'unanimité des députés péruviens le 17
novembre 2000, ne le considérant plus digne de sa fonction suite
à la
publication du rapport final le 23 juillet 2002, commandé par le
Ministère de
la Santé le 8 septembre 2001. Le rapport final de la Commission
AQV avait
notamment été établi sur la base de 56 documents
officiels d’origine
gouvernementale ou présidentielle donnant des consignes et
faisant le bilan de
l’ « efficacité » la politique de
Fujimori. Le rapport se basait
aussi sur de nombreux témoignages recueillis par la Commission
AQV.
Sa fuite au Japon avait pour but d'éviter l'incarcération qui faisait suite
aux poursuites judiciaires que la destitution pour crime contre l'humanité,
prévue par la Constitution péruvienne, entraînaient automatiquement. Le Japon a
alors refusé, malgré la demande officielle du Gouvernement péruvien en
septembre 2003, d'extrader Fujimori, en application de la loi japonaise et des
conventions internationales sur l'extradition interdisant l'extradition d'un
citoyen japonais, d'autant qu'il n'existe pas à ce jour de convention
bilatérale d'extradition entre le Pérou et le Japon. En mars 2003, le juge de
la Cour suprême José Luis Lecaros a lancé un mandat d'arrêt international par
le biais d'Interpol, espérant qu'Alberto Fujimori quitte un jour le Japon et
soit arrêté dans un aéroport international.
Au fil du temps, les chefs d'inculpation se sont succédé : mise en
place d'un système de corruption généralisé, qui touchait notamment des membres
de l'opposition, crimes contre l'humanité pour disparitions forcées (21),
complicité d'assassinats à caractère politique, soutien matériel au FARC...
Le 7 novembre 2005, Alberto Fujimori a été arrêté au Chili à la demande du gouvernement
péruvien. Après de longues manoeuvres procédurales, Fujimori a été extradé au
Pérou le 22 septembre 2007. Il a été condamné dans un premier procès à six ans
de prison pour abus de pouvoir commis dans l’exercice de son mandat
présidentiel le 12 décembre 2007. Deux ans plus tard, le 7 avril 2009, Alberto
Fujimori, au terme d'un procès d'un an et demi, était condamné à 25 ans de
réclusion criminelle par la justice péruvienne (22) . Enfin, dans un troisième
procès, Alberto Fujimori a été condamné le 20 juillet 2009 à 7 ans et demi pour
corruption (23), peine réduite en appel le 30 septembre 2009 à six ans. Mais, à
ce jour, de procès comme auteur moral ou commanditaire des stérilisations
forcées, aucune trace...
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(1)
Anticoncepción Quirúrgica Voluntaria, (Anticonception Chirurgicale Volontaire).
(2) Ley de Poltica National de Población n°24077, promulguée le 14 février
1985, modifiée le 10 novembre 1995 par l’adoption du projet de loi à
l’initiative du Président Alberto Fujimori.
(3) Seul l’avortement est exclu explicitement des moyens du planning
familial pour réduire le nombre d’enfants par femme en âge de procréer. Voir
article unique de la loi n°26530 du 10 novembre 1995 modifiant l’article VI de
la loi n°24077 du 14 février 1985.
(4) Informe
final del 23 de Julio del 2002 commandido por el Ministerio de Salud, creando
la Comisión de AQV el 8 de Setiembre del 2001 presidada por el Dr. Juan Succar
Rhame, disponible sur :
http://www.unfpa.org.pe/intranet/aqv/informes/INFAQV0101.pdf.
(5) Le Rapport final de la Commission de AQV fait état de 32.883 ligatures
des trompes et 1.424 vasectomies pour la seule année 1995 traitée à part et à
ajouter au total.
(6) En 1990, le Président Alberto Fujimori hérite d'un pays sinistré par
quinze ans d'une guerre civile particulièrement barbare menée par Sentier
lumineux, boudé par toutes les institutions financières internationales, malade
de l'inflation (2 700% en 1989). E. GONZÁLEZ de OLARTE, « Pérou : le
blocage des réformes économiques néolibérales », Problèmes d'Amerique latine,
n°25, 06 avril 1997, signale que la grande majorité des
actifs de l’Etat ont
été privatisés dans les secteurs de la finance, de
la pêche et des
télécommunications ; c'est encore le cas des mines
à 90%, des manufactures
à 85,5%, des hydrocarbures à 68% de
l’électricité à 68% et de
l’agriculture à
35%. Parallèlement, 225 processus de privatisation et/ou de
concession ont été
aboutis, générant 6,5 milliards de dollars de recettes
pour le Trésor Public.
(7) +12% du PIB de croissance en 1994 ; cette croissance se fait
cependant en accroissant l'écart entre la couche aisée et une paupérisation de
plus en plus large et profonde de l'ensemble de la population. Voir E. GONZÁLEZ
de OLARTE, « Pérou : le blocage des réformes économiques néolibérales
», op. cit..
(8) Serge GARDE, « 300 000 indiennes stérilisées », L'Humanité,
3 décembre 2002.
(9) Voir le témoignage du Dr. Ramón Figueroa, alors directeur de l'hôpital
régional de Cuzco, recueilli par F. BARTHÉLÉMY, « Une politique d’Etat
froidement élaborée : stérilisations forcées des Indiennes au Pérou ».
(10) F. BARTHÉLÉMY, « Une politique d’Etat froidement élaborée :
stérilisations forcées des Indiennes au Pérou ».
(11) Fondé à Lima en janvier 2000, ce réseau a fusionné en 2002 avec le
Réseau de municipalités alternatives du Pérou.
(12) F. BARTHÉLÉMY, « Une politique d’Etat froidement élaborée :
stérilisations forcées des Indiennes au Pérou ».
(13) Idem. On notera que la durée du soutien de l'USaid à cette ONG
correspond curieusement, date pour date, à l'adoption et à la fin du programme
de planification familiale du Président Fujimori.
(14) Serge GARDE, « 300 000 indiennes stérilisées », op. cit.,
confirmé par le Rapport Final de la Commission AQV, souligne que « Ces
personnes ont été captées soit à force de pression, de chantage et de menaces,
soit en se voyant offrir des aliments, sans qu’elles aient été dûment
informées, ce qui les a empêchées de prendre leur décision en réelle
connaissance de cause ». Il est à noter que, concernant les récompenses ou
incitations matérielles, cette procédure est conforme à l'article VI de la loi
n°24077 du 14 février 1985 relative à la planification familiale.
(15) Les Etats-Unis venaient de signer, en 1991, un accord de coopération
militaire avec le Pérou pour lutter contre les producteurs de coca. Ils furent
donc les premiers à reconnaître la légitimité de Fujimori malgré les réformes
peu démocratiques engagées par ce dernier. Par la suite, en 1996, Montesinos,
chef des services secrets aux ordres de Fujimori avait conclu un accord avec la
DEA américaine ayant le même but. Voir « CIA paid millions to Montesinos
», Miami Herald, 3 August 2001, disponible sur :
http://www.freelori.org/news/01aug03_miamiherald.html (consulté le 15 décembre
2009).
(16) La lutte contre le Sentier lumineux passa notamment par le pouvoir
accordé à l'état-major militaire de poursuivre les membres suspectés
d'appartenir à ce réseau mafieux par tous les moyenset de les juger en secret
par des tribunaux militaires. Entre 1991 et 1992, cette large marge de
manoeuvre offerte aux militaires alla jusqu'à la constitution du Grupo Colina,
un escadron de la mort chargé d'exécutions sommaires, constitué de 35
militaires protégés par le Président. Voir Stéphanie SCHÜLER,
« Fujimori : un procès historique ».
(17) Dans le cadre de sa politique de prêts au Pérou en vue de la
modernisation de son économie, le FMI exigeait la maîtrise de la démographie
dont nous rappelons que le Pérou était encore, en 1995, un élève médiocre. Voir
notamment : F. BARTHÉLÉMY, « Une politique d’Etat froidement
élaborée : stérilisations forcées des Indiennes au Pérou » et E.
COSÍO-ZAVALA, « Les deux modèles de transitions démographiques en Amérique
Latine et les inégalités sociales : le malthusianisme de la pauvreté », p.
15.
(18) Le FMI ne finança pas directement les campagnes de stérilisation
forcée, mais son aval apporta à Fujimori la légitimité nécessaire pour obtenir
du Fonds de Population pour les Nations Unies (UNFPA) quelques 5 millions de
dollars US de 1995 à 2000. Voir sur le site de l'UNFPA, « Examen des
progrès accomplis, après cinq ans, dans l’application du Programme d’action de
la Conférence internationale sur la population et le développement », Document
d’information établi par le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP)
à l’attention du Forum de La Haye, La Haye (Pays-Bas), 8-12 février 1999, qui
indique que l'aide attribuée en 2000-2005 concernant les programmes de
contraception sera portée à 6 millions de dollars US, disponible sur
http://www.unfpa.org/exbrd/2005/annualsession/dp-2005-7-pt1-fre.pdf -
2008-07-15 (consulté le 12 janvier 2010) ; quant à Usaid, nous avons déjà
eu l'occasion de dire que son aide se porta à environ 36 millions de dollars US
sur la même période.
(19) Selon F. BARTHÉLÉMY, « Une politique d’Etat froidement
élaborée : stérilisations forcées des Indiennes au Pérou », lors du
séminaire international sur la réforme du secteur de la santé de février 1996,
le discours inaugural du Président Fujimori reçut la pleine approbation de ces
deux institutions.
(20) Amendement Tiahrt adopté le 22 octobre 1998.
(21) Ces dernières sont incriminées comme crimes contre l'humanité depuis
la loi n°26926 du 21 février 1998.
(22) Source Trial Watch :
http://www.trial-ch.org/fr/trial-watch/profil/db/legal-procedures/alberto_fujimori_320.html
(consulté le 15 décembre 2009).
(23) Dépêche AFP du 20 juillet 2009.
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BIBLIOGRAPHIE
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http://www.unfpa.org/exbrd/2005/annualsession/dp-2005-7-pt1-fre.pdf –
2008-07-15 (consulté le 12 janvier 2010).
- Trial Watch :
http:www.trial-ch.org/fr/trial-watch/profil/db/legal-procedures/alberto_fujimori_320.html
(consulté le 15 décembre 2009).
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