"Un instrument pour la paix et la justice dans le monde." La définition du Foro de Biarritz élaborée par le président équatorien, Rafael Correa, en dit long sur l'importance qu'a prise, ces dernières années, ce sommet Europe-Amérique latine, organisé alternativement à Biarritz et dans une capitale latino-américaine. Pour sa dixième édition, les organisateurs – essentiellement le sénateur-maire de Biarritz Didier Borotra et le Cmeal (Centre de management Europe-Amérique latine) – avaient choisi de convier quelque 800 participants à parler de la crise. Pendant deux jours, Quito, la capitale de l'Equateur, a été le théâtre de nombreux débats, mêlant chercheurs, anciens présidents latino-américains, dirigeants actuels d'Europe et d'Amérique latine et futurs candidats à des postes présidentiels. Et ce, toutes tendances confondues. Cette année, les débats ont pris une saveur particulière alors que le continent sud-américain célèbre le bicentenaire de ses indépendances. "Nous allons vers la seconde et définitive indépendance", a ainsi déclaré le président équatorien Rafael Correa, faisant allusion à la crise actuelle.
Car si durant deux jours, les débats ont bien souvent été vifs, tous les participants, Latino-américains ou Européens, sont arrivés à la même conclusion: la crise financière et économique – qui vient de fêter son premier anniversaire, symbolisé par la faillite de la banque Lehman Brothers – marque l'échec du capitalisme à outrance. En Amérique latine, le sujet a une résonance particulière. Le mouvement à gauche du continent sud-américain constaté ces dernières années - Lula au Brésil, Lagos puis Bachelet au Chili, Chavez au Venezuela, Morales en Bolivie ou encore Correa en Equateur – trouve entre autres son origine dans un constat similaire, maintes fois rappelé à Quito: l'échec du modèle néo-libéral impulsé dans les années 1980 par les dictatures latino-américaines et notamment incarné par l'application des réformes inspirées par les "Chicago boys"* à l'économie chilienne sous Pinochet (libéralisation de l'économie, liberté des taux de change et ouverture du pays à la concurrence internationale).
Inclure le bonheur dans le PIB
Près de vingt ans plus tard, c'est donc encore une fois l'économie libérale qui est vouée aux gémonies. "Septembre noir a marqué la chute du capitalisme", a ainsi estimé Rafael Correa. De nombreux participants ont d'ailleurs rappelé que les pays du Sud n'étaient, pour une fois, pas à l'origine de cette nouvelle faillite des économies mondiales. Pour Horst Grebe, ancien ministre du Développement économique en Bolivie, "cette crise présente de meilleures conditions que dans le passé pour réformer le système". Mais pour l'heure, ces dirigeants semblent peu satisfaits des réponses apportées par la communauté internationale. "La crise ressemble à un homme qui aurait un cancer. Il a des métastases dans tout le corps. Les médecins ne savent pas quoi faire. Ils décident alors d'intervenir de manière dramatique pour que le patient puisse fumer à nouveau. Voilà ce qu'il se passe avec la crise actuelle", a ainsi regretté Freddy Ehlers, le secrétaire général de la Communauté andine, qui a appelé à ne pas confondre "développement" et "croissance". Et de rappeler les conclusions de la Commission Stiglitz, du nom du prix Nobel de l'Economie, remises à Nicolas Sarkozy le 14 septembre dernier, qui suggéraient d'inclure le bonheur dans la mesure du Produit intérieur brut (PIB). Des propos qui ont reçu un écho particulier en Equateur où le président Correa a fait inscrire dans la Constitution la notion du "sumal kawsay", un terme quechua (la langue des Indiens des Andes) qui signifie "le bien vivre".
Anciens, nouveaux et futurs dirigeants latino-américains, mais aussi Européens, dont l'Espagnol Juan Pablo de Laiglesia y Peredo, secrétaire d'Etat pour l'Ibéroamérique, se sont mis d'accord sur un point central: la crise représente une "opportunité pour redéfinir un nouvel ordre mondial". Et en la matière, l'Amérique latine n'est pas à court d'idées. Le continent entend même être le moteur de ce renouveau. Le maire de Quito, Augusto Barrera Guarderas, a ainsi invité ses concitoyens à devenir "les sujets proactifs du changement". Le président Rafael Correa a lui cité l'ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques) et la Banque du Sud, organes de coopération en Amérique latine mis en place par le Vénézuélien Hugo Chavez, comme exemples de ce renouveau.
Renouveler les institutions internationales
Car la crise du capitalisme, vue d'Amérique latine, c'est aussi la crise de ses institutions, Banque mondiale et Fonds monétaire internationale en tête. Rafael Correa a ainsi regretté que lors de sa dernière session à Pittsburgh, le G20 ait confié un rôle central au FMI, organisme décrié sur le continent sud-américain où les Etats ont été longuement écrasés sous le poids des dettes dues à l'institution internationale. L'ancien ministre colombien et ex-secrétaire général adjoint des Nations unies, José Antonio Ocampo a dénoncé une économie régie par les fluctuations du dollar, proposant que le monde fonctionne désormais sur "un système de monnaies multiples". En lieu et place du G20, critiqué pour son manque de représentativité des pays du Sud, José Antonio Ocampo a proposé la mise en place d'un "Forum de coopération économique mondiale", dont les membres seraient élus par les Etats membres des Nations unies, et qui chapeauterait l'ONU et le reste des institutions internationales (OMC, FMI, Banque mondiale).
Pour l'Amérique latine, il s'agit aussi de renforcer la coopération, régionale d'abord mais aussi internationale. Le secrétaire général de la Communauté andine, Freddy Ehlers, a ainsi regretté que nous soyons "tous dans le même bateau mais que nous regardions chacun d'un côté différent". "Dire que ce Foro apporte des solutions serait démagogique", a toutefois tempéré le sénateur-maire de Biarritz, Didier Borotra, expliquant: "L'opportunité de cette rencontre, c'est de découvrir des solidarités. La coopération nous rend plus fort." Pour les participants du 10e Foro de Biarritz, il s'agissait, comme l'a résumé le président du think tank espagnol Real El Cano, Gustavo Suarez Perdierra, de rechercher "une nouvelle place dans le monde".
*Les "Chicago Boys" sont en fait un groupe de 25 économistes chiliens formés à l'Université de Chicago et influencés par les théories libérales de Milton Friedman.