La gauche française éclaire le monde
Amis Français, je suis Vénézuelien et j’ai une dette envers vous.
Chaque fois que quelque chose de neuf et de révolutionnaire s’est amorcé en
Amérique latine, vous avez été attentifs à son développement et vous nous avez
donné des conseils désintéressés, même (et surtout) quand nous ne demandions
rien.
Je sais que vous en avez beaucoup donnés à Cuba ces dernières cinquante
années, en dépit des objections des esprits bornés qui soutiennent que, si ce
pays en avait suivis un seul, il aurait connu le sort de la plupart des petits
pays de la région : putschs, invasion étrangère, destructions, massacres,
tortures, spoliation des biens nationaux et des ressources naturelles, hausse
de la mortalité infantile et baisse générale de l’espérance de vie, mise en
place de gouvernements corrompus, voire, dans le cas spécifique de cette petite
île, annexion par l’empire.
Pour les contredire, disons que, si vous avez su émerveiller le monde dans
le passé (la Révolution de 1789, la Commune de Paris, le Front Populaire, la
Résistance, Mai 68, le non au référendum sur la Constitution européenne),
aujourd’hui vous nous é-pous-tou-flez.
A notre grande honte, l’Amérique latine se déchire sous les yeux amusés de
Barack Obama et de son complice, le président colombien Alvaro Uribe. Au
Venezuela, Hugo Chávez fustige Fidel et Raúl Castro, ces derniers refusent de
parler à René Préval, politicien d’Haïti, Evo Morales dit ses quatre vérités
boliviennes à l’équatorien Rafael Correa, Daniel Ortega du Nicaragua se fait
remettre en place par le Brésilien Lula, Cristina Kirchner-Fernández sait
montrer aux Uruguayens qu’ils ne pèsent pas lourd face à l’Argentine et tous
préviennent que Manuel Zelaya devra régler ses problèmes tout seul s’il arrive
un jour aux commandes sans contrôler l’armée hondurienne
Dans ce climat détestable, les propositions de rencontres entre les leaders
de l’opposition latino-américains sont repoussées avec hauteur et quand il s’en
produit, c’est à qui invectivera le plus son voisin. Chacun ricane dans son
coin à entendre des utopistes rêver de créer un marché commun du sud
(Mercosur), une Alliance Bolivarienne des peuples de notre Amérique (ALBA,
sigle auquel on ajouterait ensuite TCP : Traité de Commerce des Peuples)
qui faciliterait les échanges entre pays voisins. Risible aussi l’idée farfelue
de créer une télévision du sud (Telesur), une autre télévision
latino-américaine qui s’appellerait ALBA TV, etc. Et pourquoi pas (Ah !
ah !) une Banque du Sud et une monnaie commune nommée
« sucre » ? Re-ah ! ah !
Le Mercosur, s’il avait pu se créer, aurait sans doute réuni
l’Argentine, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay, épaulés par la Bolivie, le
Chili, la Colombie, l’Equateur, le Pérou, le Venezuela. L’Amérique latine
désunie et, pour cela livrée à la droite, se prive donc de la création du
quatrième espace commercial du monde, un bloc de 270 millions d’habitants,
représentant 76% du PIB sud-américain avec des échanges de 300 milliards de
dollars.
L’ALBA-TCP, qui n’a jamais existé, compterait neuf pays
membres : le Venezuela, Cuba, la Bolivie, le Nicaragua, la Dominique, le
Honduras, l’Equateur, Saint-Vincent et les Grenadines, Antigua-et-Barbuda, et
cette nouvelle initiative, totalisant 75,3 millions de personnes et un PIB
d’environ 540 milliards de dollars, serait ouverte à d’autres Etats d’Amérique
Latine.
L’UNASUR (Union des nations sud-américaines) ne sera pas créée pour contourner
l’OEA (l’Organisation des Etats Américains, entachée de l’inopportune présence
en son sein des USA). Elle comprendrait (si la gauche n’était tenue à l’écart
du pouvoir dans tout le sous-continent), l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le
Chili, la Colombie, l’Equateur, le Guyana, le Paraguay, le Pérou, le Surinam,
l’Uruguay, le Venezuela. En plus d’une communauté économique, le projet se
serait élargi plus tard à une monnaie commune, un passeport et un parlement
communs. Cet ensemble aurait représenté une population de 360 millions
d’habitants répartis sur 17 millions de km², et aurait été la plus grande union
économique, monétaire et politique du monde.
La Banque du Sud ne verra pas le jour avec
l’Argentine, le Venezuela, la Bolivie, l’Equateur, le Paraguay, l’Uruguay et le
Brésil avec l’idée, dans un second temps, de l’étendre aux pays non-alignés,
aux pays asiatiques et « à nos frères d’Afrique ».
Le sucre, monnaie électronique, ambitionnerait, à terme, de devenir une vraie
monnaie commune pour libérer la région du joug du dollar, si les pays membres
de l’inexistante ALBA-TCP avaient signé un traité visant à le créer.
La chaîne Telesur qui aurait été soutenue par le
Venezuela, l’Argentine, l’Uruguay et Cuba n’arrosera pas l’ensemble du
sous-continent et même au-delà, n’arrachant pas à CNN de langue espagnole le
privilège de l’information sur le Sud et ne privant pas les USA d’un dangereux
monopole médiatique. Cette chaîne, pour la seule raison qu’elle n’a jamais
existé, n’aura pas de correspondants à Bogotá, Brasilia, Buenos Aires, Caracas,
México, La Havane, La Paz, Lima, Managua, Quito et Washington. Elle ne sera pas
enrichie d’un réseau de collaborateurs à travers le monde : Asunción,
Cali, Guatemala (la Capitale), Londres, Madrid, Montevideo, New York, Santiago
du Chili, San José de Costa Rica, San Salvador, Port-au-Prince et Tegucigalpa.
ALBA TV aurait pu être, si elle avait vu le jour, une expérience unique d’une
télévision communautaire visible partout sur la planète pour populariser les
luttes contre l’impérialisme, renforcer l’identité du Sud, impulser les
transformations politiques, économiques, culturelles vers un vrai socialisme.
VIVE TV (télévision vénézuélienne qui aurait vu le jour si les chávistes
gouvernaient leur pays) ne formera pas à Caracas, pour propager la vérité des
peuples, des journalistes brésiliens, argentins, uruguayens, colombiens,
chiliens, nicaraguayens, boliviens, péruviens, haïtiens…
Dessin Miran
Vos politologues ont compris (ils l’avaient même prédit), compte tenu de la
diversité des projets politiques en Amérique latine, des écarts dans les
niveaux de conscience de nos peuples, de la part de pouvoir réel qui serait
dévolue en cas de victoire aux différents chefs d’Etat de gauche, voire des
caractères de ces derniers, des spécificités dans leurs itinéraires, de leur
hétérogénéité culturelle, ethnique, sociale, que rien de tout cela ne pouvait
advenir ou, en tout cas, durer plus longtemps que l’éclat d’une rose cueillie
par Salvador Allende dans le jardin du palais de la Moneda à Santiago du Chili.
Il est donc pour ainsi dire écrit dans les étoiles (du drapeau US) que
l’Amérique latine restera divisée en plus de 30 pays résolument antagonistes ad
vitam aeternam. Sauf si, amis français, vous continuez à nous éclairer, ô
phares de l’humanité !
Au Venezuela, Hugo Chavez ne cesse de perdre les élections et se morfond
dans l’opposition depuis 1998. Ce populiste que votre presse espiègle désigne
comme un aspirant à la dictature a essayé en vain de bâtir un Parti Socialiste
Uni du Venezuela (PSUV) de six millions d’adhérents. S’il est élu demain, ne
croyez pas qu’il saura nationaliser l’industrie pétrolière ou les banques
frondeuses, ni développer des programmes sociaux pour combattre
l’analphabétisme, la maladie, la faim, le chômage, ni lutter contre une
corruption séculaire, etc. Il n’osera pas confier à la gestion des travailleurs
les entreprises qui ont failli ou qui s’emploient à saboter l’économie. Tremblant
devant les oligarchies qui possèdent et contrôlent l’essentiel des médias du
Venezuela, il sera incapable de créer chez nous des télévisions porteuses de
l’intérêt du plus grand nombre comme les vôtres (TF1, France 2 et 3, Canal +,
M6, etc.) ni des radios du peuple comme France Inter, encore moins une presse
échappant aux milliardaires comme le Figaro, Libération, etc.
Quelques zones d’ombre ne nous permettent pas d’aller plus loin dans les
prévisions : Chávez président rampera-t-il devant le président des USA et
se fera-t-il inviter à un barbecue dans son ranch ? Notre MEDEF
l’adorera-t-il et quand le fleuve rougeoyant du peuple manifestera dans la rue,
sera-ce pour ou contre lui ?
Les choses sont plus faciles pour vous, en Europe, où vous avez gardé le
cuisant souvenir d’une horrible guerre mondiale qui vous a ravagés.
Aujourd’hui, la France étant forte de tant d’expériences (superbes ou
tragiques) et du souvenir de luttes et de victoires électorales unitaires, rien
d’étonnant qu’elle ait réussi un vaste rassemblement de la vraie gauche,
exploit qui est tout simplement impossible dans notre sous-continent.
Alors que la gauche latino-américaine collectionne les revers électoraux et
qu’elle enregistre des scores ridicules en additionnant les voix de partis qui
s’étripent entre eux et qui vont aux élections en ordre dispersé, votre RPS 21
(Rassemblement Pour un Socialisme du XXIème siècle) a obtenu 55 % des voix
avec le Parti Communiste Français, le Parti de Gauche, la Gauche Unitaire, les
Alternatifs, République et Socialisme, la Fédération pour une Alternative
Sociale et Écologique (FASE), le Parti Communiste des Ouvriers de France
(PCOF), Lutte ouvrière et le NPA.
Du coup, une kyrielle d’associations et de syndicats, aspirée par cet appel
d’air frais, a pris position pour votre rassemblement et l’on a même vu des
militants et des élus (surtout de base) du parti socialiste venir vers vous par
paquets. L’essentiel de son flanc gauche étant tombé dans votre escarcelle, le
parti socialiste, déséquilibré, a enlacé le parti centriste (le MODEM), perdant
sa crédibilité auprès de centaines de milliers d’électeurs qui croyaient encore
voter socialiste en votant parti socialiste.
Ah, quel séisme vous avez su provoquer, hermanos y compañeros !
La composition de votre gouvernement est une démonstration de votre
détermination à agir dans la démocratie puisque les postes y sont distribués au
prorata des voix.
Que chacun des partis du RPS 21 considère que les autres ne sont pas des
ennemis, bien qu’ils soient différents, est ahurissant de grandeur politique.
Que vous vous acharniez à réduire la droite au lieu de vous combattre entre
vous est une belle leçon planétaire. Que vous ayez renoncé à vous jeter chaque
jour au visage des erreurs passées dont certaines ont presque un siècle, non
pas pour les oublier (ce qui serait une erreur), mais pour que leur évocation
lancinante ne verrouille pas la porte du futur, est la preuve que vous avez
laissé les rancoeurs stérilisantes au vestiaire de l’impuissance politique. Que
vous ne mettiez pas sous la loupe vos divergences, mais que vous vous soyez au
contraire accordés pour, comme vous le dites si joliment :
« restituer au libéralisme son vrai nom et le jeter dans les poubelles de
l’Histoire », voila un projet en forme de slogan que nous devrions
imprimer sur nos affiches électorales.
Il est vrai qu’un de vos grands poètes vous a mis en garde :
« Quand le blé est sous
la grêle,
Fou qui fait le délicat,
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat. »
A ce sujet, quelle autre belle leçon nous donnent ceux qui, s’accommodant
de la pédophilie des savants de la Grèce antique dont la pensée philosophique à
façonné la vôtre et de l’antisémitisme de Louis-Ferdinand Céline adulé dans les
milieux littéraires et enseigné dans vos écoles, ont surmonté le réflexe
pavlovien qui les faisait immanquablement cracher
« Stalinien ! » au seul nom d’un poète de génie nommé Louis
Aragon ! Et que dire de ceux qui ont renoncé à faire précéder
« trotskiste » par « hitléro » ?
Nous savons bien que la fin de l’unipolarité du monde ne viendra pas de
l’Amérique latine, mais de l’Europe, sous l’impulsion de la France. Une fois de
plus, vous êtes en train d’étonner les peuples. C’est parce que nous avons au
moins compris cela que nous sommes friands des conseils, analyses, critiques,
admonestations, réserves qui émanent de vos intellectuels, journalistes,
politologues, philologues, philosophes, exégètes, militants, élus, chefs de
partis qui aimeraient sincèrement que notre Amérique arrache le pouvoir aux
oligarchies et se mette en marche (derrière vous, dans vos pas) vers le
socialisme du XXIème siècle.
Merci donc de nous ouvrir la voie. Continuez dans l’unité, continuez dans
la fraternité des frères d’armes qui ont un adversaire commun, continuez à nationaliser
les secteurs vitaux de votre économie, à améliorer votre sécurité sociale, à
faire baisser votre taux de chômage, à réduire les inégalités, à offrir à votre
jeunesse l’assurance d’une vie meilleures que celle de leurs aînés. Continuez à
applaudir vos dirigeants quand ils se promènent sans escorte au milieu de la
foule qui les adore. Nous vous regardons, béats d’admiration, élèves ignares
devant le maître omniscient dispensant son savoir du geste auguste du semeur
d’espoir.
Ah, quel art consommé est le vôtre pour mettre fin aux licenciements
boursiers, aux délocalisations, à la précarité, à la pauvreté, pour consolider
les services publics, augmenter le pouvoir d’achat, promouvoir l’enseignement
et la culture, sauvegarder votre environnement, participer au sauvetage de la
« Terre mère » comme dit Evo (c’est un indigène de Bolivie) !
En France, c’est toujours moins pour les milliardaires, toujours plus pour
l’ensemble du peuple. Votre gouvernement est respectueux des salariés et de
leurs droits conquis jadis par la lutte. Il prend même des mesures (des
« réformes ») pour les élargir, en créer de nouveaux.
Portés par votre unité, vous appliquez une politique qui fait des citoyens
les acteurs de la transformation audacieuse de votre pays par la mise en œuvre
de la démocratie participative.
Ô, exemple lumineux ! Inestimable secours ! Seuls, nous serions
sourds et aveugles devant les intérêts égoïstes d’une bourgeoisie
latino-américaine soudée dans la défense de ses privilèges et appuyée par le
puissant voisin du Nord.
N’hésitez surtout pas à commenter, avec l’esprit libre qui vous
caractérise, les moindres déclarations de nos leaders, nos moindres décisions,
signalez-nous nos moindres faux pas, alertez-nous sur les conséquences de nos
hésitations éventuelles, désignez-nous les pays d’Amérique latine que nous
devons préventivement inscrire dans la colonne des traîtres potentiels ou des
trop timorés, suggérez-nous le rythme idéal pour aller de l’avant quand nous
serons au pouvoir (au siècle XXII) et profitez de chaque occasion pour nous
apprendre ce qu’il aurait fallu dire et faire pour ne pas stagner dans le
marigot des défaites qui voient alterner partout sous les tropiques des
gouvernements de la gauche capitaliste et des gouvernements de la droite
capitaliste, tous pareillement atlantistes.
En échange, nous continuerons à observer et à soutenir sans ingérence votre
progression courageuse vers un monde de justice, de liberté, d’égalité, de
fraternité, de paix, d’altruisme, de tolérance et de modestie. S’il nous
semblait (hypothèse d’école) que, dans tel ou tel domaine nous aurions fait
autrement, qu’en telle circonstance nous aurions pris une autre décision, nous
nous abstiendrons de le proclamer haut et fort afin de ne pas joindre notre
voix à celle de vos adversaires et surtout de peur de porter un jugement sur
des dossiers que nous n’avons pas étudiés à fond et dont nous n’avons pas en
main toutes les pièces.
De surcroît (ah, que notre miséricorde est coupable !) il est dans
notre nature de croire que vous avez droit à l’erreur car vous êtes de hommes
faillibles, pas des divinités (quoique, parfois, à vous lire et à vous
entendre…).
A
Caracas : Gerardo Bayo Higuera.
PS. Accepteriez-vous de nous aider en nous envoyant des conférenciers
aguerris de la pensée socialiste ? S’ils sont libres, nous aimerions
recevoir Bernard Kouchner, Dominique Strauss-Kahn, Eric Besson, Jack Lang,
Michel Rocard, Claude Allègre.
Eventuellement, nous sommes preneurs de conférenciers encore plus à gauche
ayant fait le tri dans les œuvres de Marx, Lénine, Proudhon et Trotski pour
n’en garder que les fragments de textes qui vous ont permis d’accéder au
pouvoir en France et de vous y maintenir.
Nous aimerions aussi recevoir des quotidiens et magazines de gauche dont
les articles pourraient certainement contribuer à l’élaboration d’une idéologie
sans laquelle il n’est pas de révolution possible dans le tiers monde.
P.c.c.
Vladimir Marciac.
URL de cet article
http://www.legrandsoir.info/La-gauche-francaise-eclaire-le-monde.html
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