Pérou: quand le supposé terrorisme justifie la criminalisation sociale
Le MRTA n'est plus terroriste. L'UE l'a retiré de sa liste et le gouvernement péruvien s'est irrité.
La décision de l'Union Européenne de retirer de sa liste une organisation désarticulée il y a une décennie a porté un coup à la politique d'Alan García de criminaliser la protestation sociale en la liant avec de supposés foyers de terrorisme.
Le Parlement Européen a décidé hier d'exclure le Mouvement Révolutionnaire Túpac Amaru (MRTA) de la liste noire de groupes terroristes et a déclenché un scandale au Pérou, où le gouvernement et l'opposition ont tous deux rejetté cette décision. Par unanimité, le Congrès a approuvé une motion de protestation contre le Parlement Européen. Les médias se sont joints en majeure partie à cette condamnation. Le choc se produit trois semaines avant la tenue à Lima du V sommet des pays d'Amérique Latine, des Caraïbes et de l'Union Européenne et se convertit en un facteur perturbateur des relations entre le Pérou et l'Union Européenne (UE) qui peut affecter la réalisation de ce sommet présidentiel.
Le MRTA a été un groupe guerrillero d'inspiration guévariste qui s'est formé en 1984. Sa dernière action a eu lieu en décembre 1996, quand il a prit possession de la résidence de l'ambassadeur du Japon à Lima en maintenant près d'une centaine d'otages jusqu'en avril 1997, quand l'armée a pris d'assaut la résidence diplomatique en tuant quatorze guerrilleros. Cette action a été la plus spectaculaire du MRTA, mais son échec a certainement terminé par le désarticuler. Son leader, Víctor Polay, est en prison depuis 1992, purgeant une condamnation de trente ans.
L'indignée et généralisée réaction contre la décision des parlementaires européens semble exagérée et même absurde en sachant que le MRTA a cessé d'opérer il y a une décennie. Mais elle se comprend dans un contexte dans lequel le gouvernement, pressé par les protestations sociales, agite le fantôme de la guérilla pour signaler les dirigeants sociaux comme des membres supposés ou des sympathisants du maintenant inexistant MRTA et ainsi les accuser de terroristes. Il y a deux mois, sept jeunes qui ont assisté à un congrès international de la Coordination Bolivariènne, réalisé de manière publique à Quito (Equateur), ont été arrêtés à leur retour au Pérou pour avoir participé à cet évènement. Ils ont été accusés d'appartenir au MRTA et d'avoir des liens avec les FARC colombiennes au travers de la Coordination et sont toujours en prison, bien qu'on ne les accuse d'aucun acte terroriste concret.
Par ailleurs, ont aussi été accusés du délit de terrorisme 35 dirigeants communaux et paysans qui en septembre de l'année passée ont organisé un référendum qui a rejetté la présence dans leurs terres d'une entreprise minière chinoise qui envisage d'extraire du cuivre dans une mine à ciel ouvert. À ces cas s'ajoute une rhétorique de plus en plus enflammée des membres du gouvernement pour disqualifier les dirigeants sociaux qui organisent des protestations anti-gouvernementales.
Et c'est dans le cadre de cette stratégie que le gouvernement s'entête à ressusciter les craintes du terrorisme et, avec celles-ci, du MRTA. Le chancelier, José García Belaunde, a accusé l'Association Pro Droits Humain (Aprodeh) d'avoir influé devant le Parlement Européen pour empêcher que le MRTA soit inclus dans la liste de groupes terroristes. Pour cela, il a exhibé une lettre dans laquelle Aprodeh informe les parlementaires européens que le MRTA n'existe plus et signale que "surdimensionner" sa supposée existence "peut servir à persécuter des activistes sociaux et des opposants politiques, en les accusant injustement de terrorisme".
Le gouvernement, la droite et le fujimorisme ont, en bloc, accusé l'Aprodeh d'être le "bras politique du terrorisme" et disqualifié les groupes de défense des Droits de l'Homme. Quelque chose qui tombe très bien pour Fujimori maintenant qu'il est inculpé de violations aux droits de l'homme. Tous ceux qui ont accusé l'Aprodeh ont occulté un paragraphe de la lettre que cet organisme a adressé au Parlement Européen, paragraphe dans lequel elle exprime ouvertement son "refus" et sa "condamnation" de ce qu'elle qualifie d' "actes de terreur" dans le passé par le MRTA. Le vice-président de la République, Luis Giampietri, un ex-militaire sur qui pèsent des accusations pour violations aux droits de l'homme, a menacé Francisco Soberón, directeur d'Aprodeh, durant un discours au Congrès, en lui disant qu' "un jour il devra payer pour ce qu'il a fait". Consulté par Soberón a répondu que "ces accusations viennent des secteurs qui ont toujours été en faveur de l'impunité et qu'ils nous attaquent maintenant parce que nous sommes en première ligne dans dans les jugements de Fujimori et des violeurs des droits de l'homme ".
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