Le Pérou copie la Colombie
(source : Mondialisation.ca 25/10/09)
Depuis l’élection d’Alan Garcia, en 2006, le Pérou a accéléré son
insertion dans ce que la sociologue et chercheuse en sciences
politiques, Monica Bruckman, appelle « le dispositif continental
d’endiguement de l’avancée de la gauche en Équateur, en Bolivie et au
Venezuela ».
Dans un article paru en septembre dans le Monde diplomatique, la
chercheure des Nations unies, nous apprend que Garcia, ex-président
social-démocrate et anti-impérialiste dans les années 1980, a remplacé
les idéaux de son parti, l’Alliance populaire révolutionnaire
américaine (APRA), par l’inquiétante doctrine du « chien du jardinier ».
Le 28 octobre 2007, dans une lettre adressée aux journaux péruviens,
Garcia explique que les mouvements sociaux, indigènes,
environnementalistes et la gauche en général sont comme le chien du
jardinier « qui ne mange pas mais empêche les autres de manger », bref,
qu’en défendant les ressources naturelles du pays, ils sont les ennemis
de sa modernisation.
Les déclarations méprisantes de Garcia ne s’arrêtent pas là. Au
début de 2007, il traitait les indigènes de « sauvages arriérés » et
demandait aux nombreux pauvres de son pays de « cesser de quémander »
parce que cela fait d’eux « des parasites ».
Le 2 février 2008, il félicite la police dont certains membres
viennent d’exécuter deux paysans. « C’est très bien qu’ils défendent le
Pérou, déclare-t-il. Que cela serve de leçon à ceux qui incitent
publiquement à la grève et à l’agitation. »
La modernisation dont parle le président, rappelle Bruckman, vient
du traité de libre-échange que le Pérou a signé avec les États-Unis, en
décembre 2007.
Dès lors, le Congrès péruvien accordait au gouvernement tous les
pouvoirs pour légiférer par décrets pendant les six premiers mois de
2008. Garcia en profite pour modifier ou créer une centaine de lois
favorables à la privatisation des ressources du pays exigée par
Washington.
Les nouvelles lois vont jusqu’à découper la forêt amazonienne, et
même la mer, en concessions vendables à de grandes entreprises.
Aussitôt les indigènes se sont mobilisés contre les décrets 1090
(Loi des forêts et de la faune sylvestre) et 1064 (Régime juridique
pour l’exploitation des terres agricoles). Le premier met en vente 68%
des forêts péruviennes, avec toute leur biodiversité faunique et
florale, tandis que le second facilite les transactions dans le cas de
terres indigènes.
Au printemps 2009, les protestations débouchent sur une grève
régionale qui dure deux mois, les indigènes occupant des portions
d’autoroutes et bloquant l’accès à des pipelines et stations
pétrolières.
Le 5 juin (Journée mondiale de l’environnement!), une brutale
intervention policière cherche à déloger 5000 indigènes Wampi et Awajun
d’un important tronçon autoroutier et provoque la mort de 24 policiers
et d’une cinquantaine de manifestants et à la disparition de centaines
de civils.
Cinq mois plus tard, le « massacre de Bagua » n’a pas encore été
investigué, les dirigeants indigènes sont toujours détenus ou exilés et
leurs hameaux truffés d’agents du renseignement.
Garcia, nous dit Monica Bruckman, profite de l’appareil légal
répressif créé par Alberto Fujimori, dans les années 1990, « appareil
qu’il a encore durci et qui permet la criminalisation des mouvements
sociaux et l’impunité des forces armées dans leurs actions de
répression. »
« Se sachant non poursuivis pour les blessures et les morts causées,
policiers et militaires n’hésitent pas à utiliser leurs armes. »
Qualifiés d’extorqueurs, les manifestants et les autorités locales
qui les soutiennent encourent des peines pouvant aller jusqu’à 25 ans
de prison. Toute personne peut être arrêtée sans mandat et être coupée
de l’extérieur pendant dix jours tandis que la police peut mener des
enquêtes sans ordre du procureur.
Au lendemain des événements de Bagua, Lima, qui venait d’accorder
l’asile politique à des opposants vénézuélien et bolivien recherchés
par la justice de leur pays, dénonce « une agression soigneusement
préparée contre le Pérou » et laisse entendre que la révolte autochtone
est attisée par les présidents Chavez et Morales de ces deux mêmes pays.
Le 28 septembre dernier, Garcia, seul président latino-américain à
soutenir fermement l’occupation états-unienne des bases militaires
colombiennes, réussit à convaincre le Tribunal constitutionnel péruvien
d’approuver l’intervention des Forces armées dans les « conflits
influencés par une idéologie étrangère ».
Le Pérou est maintenant transformé en centre d’opérations pour le
Pentagone. Selon les registres du Congrès péruvien, entre 2004 et 2009,
pas moins de 55’350 militaires états-uniens seraient entrés en
territoire péruvien et, à partir de 2006, leur durée moyenne de séjour
passe de 100 à 277 jours.
Les activités de ces patrouilles se concentrent dans des zones de
fort conflit social (la jungle et sa périphérie) et consistent surtout
en appui informatif et en entraînement contre le trafic de drogue.
Pour Fredy Otarola, député du Parti nationaliste péruvien (PNP),
l’objectif caché est d’entraîner les frégates lance-missiles et autres
unités navales de la 4e flotte états-unienne avec ses homologues
péruviennes, les ports servant au réapprovisionnement des navires et au
repos des équipages.
Et, advenant des « causes imprévues », dit-il, l’armée péruvienne
peut inviter des militaires étrangers avec armes et navires de guerre
sans l’autorisation du Congrès prévue par la constitution.
Le Pérou procède aussi à une intégration militaire croissante avec
son voisin colombien : manœuvres communes dans les zones frontalières
avec opérations aériennes, établissements de canaux de communications
et de procédures de coordination, entraînement des états-majors, etc.
Les présidents Garcia et Uribe justifient ce rapprochement militaire
par des « problèmes communs » comme le trafic de drogue et la présence
de guérillas.
À propos de ces dernières, les médias colombiens et péruviens
prétendent que la guérilla colombienne des FARC a réussi à faire
renaître de leurs cendres ses homologues péruviennes du Sentier
lumineux et du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru à qui, après les
avoir déclarées vaincues, on impute maintenant la responsabilité du
moindre acte de violence.
L’hiver dernier, quatre manœuvres militaires conjointes
colombiano-péruviennes avaient lieu précisément dans la région où
opèrent les unités états-uniennes et les pseudo-guérillas.
Le spécialiste en matière de sécurité, Ricardo Soberon, croit que
ces manœuvres « ratifient l’alliance entre la Colombie, le Pérou et les
États-Unis », ces derniers profitant d’un traité de libre-échange
générateur de mécontentement et de conflits sociaux au Pérou « pour
consolider leur stratégie militaire en Amérique du Sud ».
Il s’agit là, poursuit-il, d’un coup très dur porté à la stabilité
régionale et à la formation du Conseil de défense sud-américain qui a,
entre autres objectifs, celui de diminuer les ingérences étrangères
dans la région.
Mais les mouvements sociaux péruviens disposent d’une énorme
capacité de mobilisation. En plus de faire tomber les régimes de
Francisco Morales Bermudez (1978) et d’Alberto Fujimori (2000), ils
ont, en 2006, fait du parti nationaliste d’Ollanta Humala, la deuxième
force politique du pays :
« Par la polarisation qu’elle engendre, conclut Monica Bruckman, la
politique brutale de M. Garcia crée la condition d’une offensive de ces
organisations politiques progressistes. La répression est une arme
puissante mais aussi très dangereuse : elle peut se retourner contre
celui qui en use. »
André Maltais est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca. Articles de André Maltais publiés par Mondialisation.ca
L’hiver dernier, quatre manœuvres militaires conjointes colombiano-péruviennes avaient lieu précisément dans la région où opèrent les unités états-uniennes et les pseudo-guérillas.
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